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d’un coup il s’entendit appeler par une voix qui descendait du ciel. Il leva la tête et resta le nez en l’air, dans une muette contemplation.

— Il y a place pour vous, lui dit Louise.

— Quelle folie ! certes, vous voulez rire ! répondit Aristide Herbeau.

Louise voulait rire en effet. La cruelle enfant se promettait un malin plaisir de voir son vieux docteur, en bas de soie et en culotte courte, monter à l’échelle et venir se percher sur le toit. La nonchalante se trouvait bien d’ailleurs et n’était pas pressée de descendre.

— Venez donc, lui dit-elle ; vous ne sauriez croire comme on est bien ici ! Nous aurons un coucher de soleil magnifique, et nous pourrons causer à l’aise, sans crainte d’être surpris. Vous chercheriez en vain un lieu plus solitaire, un endroit plus propice.

Mais le docteur Herbeau n’était que médiocrement tenté de se rendre à l’invitation de la jeune femme.

— Imprudente enfant, s’écria-t-il, vous êtes sous un mortel ombrage. Ignorez-vous qu’Hippocrate recommande aux voyageurs de ne jamais s’asseoir à l’ombre des noyers ! L’ombre du noyer est funeste.

— Allons ! dit Louise en l’attirant du geste et du regard.

— Je n’en ferai rien, je vous jure.

— Vous n’êtes pas galant, dit-elle.

Ce reproche alla droit au cœur d’Aristide. Et puis il regardait Louise, et Louise était charmante sur son trône de mousse et de fleurs. Le docteur la contemplait avec amour, et ne pouvait surtout détacher ses yeux de deux petits pieds qui, sous la robe que lutinait la brise, semblaient lui sourire et l’agacer.

— Eh bien ! vous ne venez pas ? dit Mme Riquemont. Ah ! si vous m’aimiez, vous seriez déjà près de moi.

Aristide hésitait.

— Louise, s’écria-t-il, vous compromettez étrangement la dignité de mon caractère !

— Quand vous m’avez demandé un rendez-vous, dit Louise, ai-je craint, moi, de me compromettre ? car c’est un rendez-vous, docteur, ajouta-t-elle en souriant.

Aristide regardait toujours les deux petits pieds qui le fascinaient, et de temps en temps la brise indiscrète qui jouait follement dans les plis de la robe de Louise, dévoilait à demi les trésors d’une jambe charmante, que pressait coquettement un brodequin de coutil gris. Cependant les pigeons piétinaient et roucoulaient amoureusement,