Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 28.djvu/409

Cette page a été validée par deux contributeurs.
405
LE DOCTEUR HERBEAU.

à peine le bord de la toiture. Au bout de quelques instans, une volée de pigeons vint s’abattre auprès d’elle. C’étaient les pigeons de son colombier. Bien que ces oiseaux soient naturellement très sauvages, Louise était parvenue à les apprivoiser, et sa présence les attirait, au lieu de les effaroucher. Ils se groupèrent aux angles du toit, et, après avoir fait la toilette de leur plumage, se mirent à roucouler et à se becqueter les uns les autres. En même temps une compagnie de poules et de poulettes picorait au pied de l’échelle, sous la surveillance inquiète d’un coq amoureux et superbe. Le soleil déclinait à l’horizon, on respirait de toutes parts la senteur des foins nouvellement coupés ; on entendait au loin les chants des pâtres, lents et tristes comme tous les chants primitifs.

Mais que faisait donc le docteur Herbeau ? à quoi donc pensait le docteur Herbeau ? Il accourait, le bon docteur, bourrelé de remords, la conscience aux abois, plus humble et plus abattu que nous ne l’avons vu fier et conquérant au départ. Tandis que l’ange et le démon se disputaient son faible cœur, il avait, lui, le docteur Herbeau, fini par envisager la question sous son point de vue véritable. Qu’adviendrait-il s’il lâchait la bride à la passion de Louise, s’il brisait le dernier lien qui l’attachait à ses devoirs ? Certes, la vengeance avait son charme ; mais qu’amers en seraient les fruits ! D’une part M. Riquemont, de l’autre Adélaïde : deux jalousies déjà sur le qui-vive, il n’en pouvait douter, qui n’attendaient peut-être qu’une occasion pour éclater. S’il avait eu tant de peine à cacher un amour innocent, comment s’y prendrait-il pour cacher un amour criminel ? comment échapperait-il au châtiment d’un double adultère ? Que deviendrait Louise ? que deviendrait-il lui-même ? Deux ménages à jamais divisés, quatre existences à jamais flétries ! Quel exemple pour Célestin ! quel scandale pour Saint-Léonard !

Ces réflexions avaient singulièrement modifié les coupables desseins d’Aristide. Il ne savait plus et se demandait avec effroi où il avait pris l’incroyable audace d’implorer une si dangereuse faveur. Il fut tenté de rebrousser chemin ; mais la galanterie française, qu’il représentait en sa personne, lui imposait la loi rigoureuse de ne pas manquer à cet entretien qu’il avait sollicité lui-même. Ici, difficulté nouvelle : comment suppléer aux intentions qu’il avait emportées au départ ? quel prétexte trouver auprès de Louise pour justifier cette solennelle entrevue ? comment éluder le crime ? que mettre à la place du bonheur ? que dire enfin ? que faire ? qu’imaginer ?

Il allait, front baissé, au pas languissant de sa bête, quand tout