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LE DOCTEUR HERBEAU.

À la même heure, Louise et M. Riquemont sortaient du château et s’en allaient chacun de son côté : M. Riquemont, escorté de ses chiens, son fusil sur l’épaule, et réfléchissant au moyen d’en finir avec son odieux rival ; Louise, son ombrelle à la main, triste, alarmée, rêveuse, et n’ayant plus d’espoir qu’en son vieil ami, le docteur Herbeau, pour échapper au danger qui la menaçait. Elle prit le sentier de Saint-Herblain, ce même sentier qui l’avait vue, quelques jours auparavant, appuyée sur le bras du jeune docteur, s’enivrant sans défiance de ce bonheur sans nom dont la source lui était alors inconnue. Louise ne put défendre son cœur de ces trop charmans souvenirs. Elle s’arrêtait de loin en loin pour contempler avec mélancolie les sites qu’ils avaient admirés ensemble ; ce n’était pas le soleil qui dorait les coteaux, mais l’image de ce jeune homme. Elle marchait lentement, cherchant sur le gazon les traces mêlées de leurs pas ; toutes les paroles qu’avait laissées tomber Savenay, elle les entendait s’éveiller sur son passage et chanter, comme des oiseaux, dans les haies. Vainement elle accusait sa mémoire de lâche complaisance, vainement elle s’efforçait de repousser les gracieux fantômes qui se venaient jouer autour d’elle ; pour un qui s’enfuyait, il en accourait mille, et mieux que jamais la pauvre enfant comprenait qu’elle ne devait plus revoir le jeune étranger.

À Saint-Herblain, les gens de la ferme s’informèrent du beau monsieur qui accompagnait leur jeune dame à sa dernière visite. Tous se louaient de son affabilité et de sa bonne grace. Les enfans s’étaient pris d’affection pour lui, et le plus mutin de la troupe, tout barbouillé de raisiné, dit à Louise que ce mari-là était plus à son gré que l’autre. Mme Riquemont sortit de la ferme pour aller visiter les pauvres familles du village ; elle découvrit qu’à sa dernière venue elle avait eu M. Savenay pour complice de sa bienfaisance. Tout semblait conspirer contre le repos de son ame. Émue, troublée, elle s’échappa du hameau et suivit un sentier bordé de sureaux, par où devait arriver Aristide. Que lui voulait le docteur Herbeau ? Pourquoi ce rendez-vous mystérieux, sollicité avec tant d’insistance ? Sans doute il avait surpris ce qui se passait en elle, et cet excellent ami venait pour l’aider de son appui, de son expérience et de ses conseils. Ah ! lui seul, en effet, oui, lui seul pouvait la sauver ! Ainsi, confiante, elle allait à la rencontre du loup cervier qui s’approchait pour la déchirer.

Mais que faisait le docteur ? L’heure du rendez-vous était passée. Déjà l’ombre des peupliers commençait à s’allonger sur l’herbe des