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haine et sa colère, un instant submergées par les larmes, s’agiter dans son cœur et remonter à la surface. Au souvenir des outrages qu’il avait si long-temps endurés, son sang s’alluma de nouveau, la voix du remords se calma, et celle de la vengeance prit encore une fois le dessus. Les plaies de son amour-propre s’étaient rouvertes et saignaient toutes vives. Les mauvais traitemens que M. Riquemont lui faisait subir depuis plus de deux ans, les sarcasmes de cet homme, ses paroles amères, ses procédés indignes, tout ce douloureux poème, tout ce cruel et long martyre, lui revenaient en mémoire. Il s’accusait de faiblesse et de lâcheté ; il était las de son innocence, et il se disait que son supplice lui semblerait moins dur dès-lors qu’il l’aurait mérité.

Ramenant donc Colette du côté de Saint-Herblain, il lui pressa les flancs d’un talon irrité.

Mais, dans cette belle ame, la conscience, un instant étouffée, ne devait pas tarder à reconquérir ses droits. Bientôt l’image de Louise, comme l’étoile des mers qui apaise les tempêtes et rend l’espoir aux matelots, perça une fois encore les nuages qui la voilaient, les éclaircit, les dispersa, et versa dans le cœur orageux d’Aristide ses calmantes et chastes influences. Toutefois, l’orgueil se débattait et ne voulait pas mourir. Les deux principes qui, depuis qu’il existe, se disputent le monde, étaient aux prises et se livraient des combats acharnés sous la perruque du docteur. Irait-il ou n’irait-il pas à ce rendez-vous criminel ? — Va, disait le mauvais principe. — Retourne, s’écriait le bon. — Il allait, mais flottant, indécis, ne sachant que résoudre, passant tour à tour de l’attendrissement à la fureur, se demandant s’il devait épargner ou frapper la victime. L’ange et le démon, que chacun de nous porte en soi, le tiraillaient en sens contraire, l’un par devant, l’autre par derrière, avec un égal acharnement. Le démon l’aiguillonnait et le poussait ; l’ange le retenait par les basques de son habit. L’un lui jetait Louise à dévorer, l’autre enveloppait la belle enfant de ses ailes. — Point de pitié ! s’écriait Satan. — Grâce pour elle ! disait l’ange d’une voix suppliante. — Venge-toi de deux années d’outrages ! s’écriait l’esprit infernal. — Ne renie pas en un jour deux années d’abnégation et de vertu ! disait le céleste esprit. — Cueille la palme de ton martyre, s’écriait le diable. — Conserve à ton amour, disait l’ange, sa couronne de roses blanches. — Le bon docteur suait à grosses gouttes et ne savait lequel des deux entendre. Tantôt l’ange terrassait le démon, tantôt le démon terrassait l’ange. Qui triompherait du ciel ou de l’enfer ? c’est ce que nul n’aurait pu décider.