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le pas, et déjà, à son insu, le calme de la nature descendait insensiblement dans son ame. Déjà ses traits avaient perdu l’expression féroce qu’ils avaient au départ ; on eût dit qu’une main invisible versait goutte à goutte un baume adoucissant sur ses blessures. Comme autrefois, les liserons de neige se penchaient sur les traînes pour le regarder ; les oiseaux le saluaient de leurs chants, les papillons d’azur voltigeaient dans l’air ; les menthes, échauffées par l’ardeur du soleil, répandaient sur son passage leurs exhalaisons enivrantes. Bientôt ses pensées, par degrés détournées de leur cours impétueux, suivirent des pentes moins alpestres, et, ramenées enfin dans leur lit naturel, s’égarèrent en gracieux méandres. Il allait lentement, déroulant dans son esprit la trame immaculée de sa liaison avec la jeune châtelaine, ressaisissant à chaque pas les honnêtes émotions de cet amour plus blanc que les liserons des haies, plus odorant que les menthes qui tapissaient les marges du sentier. Ses visites au château, les regards échangés à la dérobée, les pressions de main furtives, les entretiens voilés, les secrètes intelligences, tout ce riant passé, tous ces pudiques incidens, toute cette amoureuse histoire, bourdonnaient autour de lui comme autour d’une ruche un essaim de blondes abeilles. Cependant les pâtres, en l’apercevant, se découvraient avec respect ; les enfans des hameaux voisins lui envoyaient le bonjour accoutumé, et les jeunes filles qui gardaient leurs troupeaux, retenant leurs chiens hargneux qui s’élançaient après Colette, disaient : — Voici le bon docteur Herbeau qui va visiter ses pauvres.

Il passait, touché de ces témoignages d’affection et de déférence, rendant à tous leur salut, non sans adresser à chacun quelques paroles bienveillantes, ni sans demander aux uns et aux autres des nouvelles de la ferme, de la métairie et de la chaumière. Les pauvres gens de la campagne l’aimaient et le vénéraient, car il avait toujours été bon pour leur pauvreté. Non-seulement il ne leur vendait pas sa science, mais encore il les visitait avec une sollicitude toute spéciale, et sa bourse se vidait volontiers au chevet des indigens. Il allait donc, recueillant çà et là le prix humble, mais précieux, de ses soins et de ses bienfaits, récoltant, pour ainsi dire, sur sa route la dîme de la reconnaissance. Cette popularité à travers champs le vengeait et le consolait de la sottise et de la méchanceté de la ville. Son cœur s’amollissait et ses yeux se mouillaient de larmes. L’image de Louise se mêlait à tous ces naïfs enchantemens. Dans les pervenches épanouies sous les buissons, il croyait voir le bleu regard de l’objet adoré, il entendait sa voix dans le murmure des brises à travers le feuillage ;