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fleuri pour voir arriver le cadavre. Mais voilà bien une autre tête ! le noyé ressuscite ! Au lieu de M. Savenay mort, porté sur un brancard par quatre garçons meuniers, on le vit arriver vivant, sain et sauf, à cheval. Il fendit la foule ébahie au grand trot et ne s’arrêta qu’à sa porte, où l’attendait son enterrement. Qui fut bien désappointé ? Mme Herbeau d’abord, puis les chantres de la paroisse et un poète de Saint-Léonard qui avait composé une ode sur le trépas du jeune médecin.

On imagine aisément de quel intérêt romanesque dut se voir entouré l’étranger. On sut bientôt que, tandis qu’on le croyait flottant sur les eaux de la Vienne et pêché sous les roues d’un moulin, il était installé au château de Riquemont, hébergé comme l’ami de la maison. Le lendemain, la sérénade et la visite du châtelain complétèrent l’ovation commencée la veille. On avait aperçu M. Riquemont jetant des pièces d’or aux musiciens ; on avait vu M. Savenay, pour se dérober aux transports de la foule, déserter son logis et s’échapper à travers champs. On s’entretenait aussi des vers charmans composés par Mme d’Olibès ; il en circulait déjà plusieurs copies dans la ville. Les ennemis du docteur Herbeau allaient partout, les déclamant avec emphase. On racontait que M. Savenay, dans sa reconnaissance, avait fait présent à la petite Atala d’Olibès d’un magnifique bracelet orné de rubis et d’émeraudes. On ne doutait pas qu’il n’épousât très prochainement la directrice de la poste aux lettres, que les érudits de l’endroit, depuis qu’ils avaient lu ses vers, appelaient la moderne Sapho. Le soir du même jour, on assurait que M. Riquemont avait jeté des billets de 500 francs par la fenêtre, que M. Savenay avait fait cadeau d’une cassette de diamans à Mlle d’Olibès, et que les bans de son mariage avec la mère seraient publiés le lendemain.

Disons-le hautement à leur gloire, dans cette circonstance, les amis du docteur Herbeau déployèrent une énergie et firent preuve d’un dévouement bien rares en pareille occurrence. Comprenant que le cas était grave, ils se rendirent en corps à la maison d’Aristide. Aristide était absent. Ils trouvèrent Adélaïde en proie à une violente attaque de nerfs. Le bruit de la sérénade et les nouvelles du dehors l’avaient jetée dans cet état. Elle se tordait sur son lit en poussant des cris perçans, tandis que Jeannette, aux abois, frappait dans les mains de sa maîtresse et lui versait sur le visage une carafe d’eau glacée. La présence des amis la calma. Ils eurent pour la consoler des paroles bonnes et tendres. Ils cherchèrent à lui démontrer que tout n’était pas perdu, et qu’il ne fallait pas se désespérer pour si