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déchiremens intérieurs, Louise décida que non-seulement M. Savenay ne pouvait remplacer le docteur Herbeau, mais encore qu’elle ne devait plus le revoir. Elle irait donc noblement à son mari et lui confesserait à genoux le trouble et l’effroi de son cœur, le priant de lui pardonner et de la sauver d’elle-même. Ce parti pris une fois, elle se sentit plus calme et mieux avec sa conscience.

Le lendemain, elle se leva de bonne heure pour accomplir sa résolution. Lorsqu’elle fit demander M. Riquemont, son pauvre cœur battit bien fort et ses jambes se dérobèrent sous elle. Elle ne savait plus où elle avait pris le courage d’un si hardi dessein. Elle était toute pâle et toute tremblante. On vint lui dire que M. Riquemont était parti de grand matin pour Saint-Léonard, et qu’il ne reviendrait que le soir. À cette nouvelle, la jeune femme se sentit soulagée d’un grand poids. C’était un jour de gagné : peut-être le soir n’arriverait pas.

Le soir arriva vite. Au bruit des pas de M. Riquemont, Louise tressaillit, et toute force l’abandonna. M. Riquemont n’entra pas dans la chambre de sa femme et resta dans la salle voisine. Louise, l’ayant vainement appelé, se résigna à l’aller trouver. Il se promenait de long en large, et n’accorda pas la moindre attention à Louise, qui le regardait d’un air inquiet. Elle essaya de lui parler, il lui répondit en sifflant. La pauvre enfant avait de grosses larmes dans les yeux. M. Riquemont s’étant assis, elle alla s’appuyer craintivement sur son épaule ; puis, se laissant glisser furtivement entre ses genoux, elle se prit à le regarder d’un air humble, timide et suppliant, comme une blanche levrette qui demande grâce à son maître. Le maître laissa tomber sur elle un regard superbe et dédaigneux.

— Mon ami, dit-elle enfin d’une mourante voix, j’ai bien réfléchi à ce que vous m’avez proposé hier, et je vous dois, je me dois à moi-même de vous déclarer encore une fois que cela ne se peut pas. Mon ami, daignez m’écouter.

M. Riquemont s’était levé brutalement. Louise s’attachait à ses genoux.

— J’ai besoin, s’écria-t-elle, de toute votre indulgence.

— Comment ! mille millions de tonnerres ! s’écria M. Riquemont en éclatant comme une bombe, il est donc écrit là-haut que je n’aurai pas un instant de repos ici-bas ! Comment ! vous allez encore me casser la tête de cette sotte affaire ! Malheur à qui a jeté la discorde dans ma maison ! Je me vengerai, mille diables ! Quant à vous, madame, rentrez dans votre appartement.

À ces mots, il sortit en brisant les portes.