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LE DOCTEUR HERBEAU.

jusqu’à elle. Aucune image décevante n’avait voilé le ciel de ses jeunes années. Aucune lecture malfaisante n’avait inquiété sa joyeuse ignorance. Elle s’était mariée sans se douter de l’amour, sans imaginer qu’il pût exister un autre sentiment que celui qu’elle éprouvait pour son mari, un autre bonheur que l’accomplissement de ses devoirs, convaincue que tous les maris ressemblaient à M. Riquemont, et tous les mariages au sien. Plus tard, la tristesse et l’ennui, l’imagination et les sens s’éveillant, quelques livres aussi, dérobés aux regards du maître et dévorés en cachette, durant les soirées d’hiver, sous le manteau de la cheminée, tandis que le vent sifflait aux portes et que le grillon chantait dans les fentes de l’âtre, lui avaient bien révélé de vagues horizons qui ne ressemblaient en rien à ceux qui bornaient la vue du château de Riquemont ; mais ces horizons, ces plages inconnues, ne lui étaient apparus que flottant au loin dans la brume des rêves, et jamais elle n’avait songé qu’elle put y aborder un jour. Ce nouveau monde que nous cherchons tous, comme Christophe Colomb, patrie mystérieuse vers laquelle nous pousse incessamment le curieux instinct de notre divine nature, elle l’avait entrevu, mais confusément et sans le chercher ailleurs que dans le ciel. Elle croyait sa vie close ici-bas et n’attendait rien sur la terre. Elle s’était sentie dépérir sans connaître le mal qui la consumait. Elle avait vu sa jeunesse pâlir, sans savoir, sans se demander d’où soufflait le vent qui la flétrissait avant l’âge.

Lorsque l’amour éclata dans son cœur, lorsque Louise comprit qu’elle aimait, elle fut saisie d’un grand remords, et toutes les pieuses voix qui avaient bercé son enfance s’élevèrent pour la maudire. Dans son innocence, elle s’exagérait son crime. Elle se jugeait déjà épouse infidèle et parjure. — Pourtant, mon Dieu ! ce n’est pas ma faute, s’écriait-elle avec désespoir. Je ne prévoyais rien, je ne me doutais de rien. Je ne sais pas comment cela s’est fait. Mon Dieu ! ne m’abandonnez pas, et je triompherai des coupables pensées qui m’assiégent. — Elle pleurait et se tordait les bras. Quoique faible et n’en pouvant plus, elle s’échappa de sa chambre, de cette chambre que le jeune homme absent remplissait tout entière. Mais elle retrouva partout l’image qu’elle voulait fuir. Partout elle le voyait pâle, défait, sanglant, tel qu’il s’était présenté à elle le jour de ce funeste orage. Partout elle entendait sa voix grave, affectueuse et parfois tendre. En dépit d’elle-même, elle se racontait heure par heure, instant par instant, les jours enchantés qu’ils avaient passés ensemble. Elle s’enivrait, à son insu, du charme de son repentir.

Le sentiment du devoir l’emporta. Après bien des larmes et des