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LE DOCTEUR HERBEAU.

et, d’une voix fraîche et argentine comme le murmure d’un clair ruisseau, elle gazouilla ce compliment :

Hier, je pleurais votre trépas ;
Mais ce matin, avant l’aurore,
Un dieu me dit : Ne pleure pas,
Monsieur Savenay vit encore.
À ces mots, je cours au jardin
Moissonner les présens de Flore,
Pour les offrir au médecin
Qu’en ces lieux tout le monde honore.
De ces beaux dahlias la fraîcheur
Se flétrira, douleur extrême !
Voici le véritable emblème
Des sentimens de notre cœur.

Et, à ce dernier vers, elle tendit la couronne d’immortelles au jeune docteur.

— C’est charmant ! ravissant ! étourdissant ! s’écria M. Riquemont. Je n’ai jamais rien entendu de pareil.

— C’est en effet très joli, dit M. Savenay, qui ne put s’empêcher de sourire.

— Tiens, mon petit ange ! voici de quoi acheter des dragées, ajouta M. Riquemont en lui présentant un gros sou tout souillé de vert-de-gris.

— Est-ce que j’ai besoin de votre argent, gros vilain ! dit Mlle d’Olibès en lui jetant son morceau de cuivre à la tête.

M. Savenay prit l’enfant sur ses genoux, la caressa avec bonté, et la renvoya à sa mère les poches bourrées de friandises et de biscuits. Près de se retirer :

— Monsieur, dit-elle, voulez-vous que je vous récite une fable ?

La cigale, ayant chanté
Tout l’été,
Se trouva fort dépourvue…

— Va, mon enfant, va, ta poupée t’attend, dit le jeune homme en la reconduisant par la main jusqu’au bas de l’escalier. Il est impossible, s’écria-t-il en rentrant, de rien voir de plus burlesque ni de plus ridicule que ce qui se passe ici depuis un quart d’heure. J’ai donné ordre qu’on bridât nos chevaux ; si vous y consentez, monsieur, nous irons faire un tour hors de la ville, car, en vérité, la place n’est pas tenable.