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tisans avaient décidé qu’on lui donnerait une sérénade en signe de félicitation et de réjouissance, mais, en réalité, à cette seule fin d’humilier le docteur Herbeau.

— Voilà qui m’est souverainement déplaisant, dit M. Savenay visiblement contrarié. Messieurs, ne sauriez-vous aller faire plus loin votre tapage ! ajouta-t-il en reparaissant à la fenêtre.

Mais sa voix fut étouffée par l’enthousiasme de la grosse-caisse. L’orchestre se composait de deux trompettes, de quatre violons, d’un tambour et d’une clarinette. Mme Saqui, alors en représentation à Saint-Léonard, ainsi que nous l’avons dit, avait prêté sa grosse caisse, ses cymbales et deux chapeaux chinois. Parmi les exécutans, on remarquait surtout le gendarme Canon, qui soufflait de toute la force de ses poumons dans une trompette fêlée. Lorsque M. Savenay se montra de rechef au balcon, il fut salué par l’air de : Où peut-on être mieux qu’au sein de sa famille ?

— Allez tous au diable ! leur cria-t-il en fermant sa croisée avec colère.

M. Riquemont ne se sentait pas d’aise.

— J’aime à voir les populations honorer ainsi le vrai mérite, dit-il en rouvrant la fenêtre. Jeune homme, laissez mon cœur, mes yeux et mes oreilles se repaître de ce touchant spectacle et de cette douce harmonie. Bien ! mes amis, bien ! s’écria-t-il en jetant quelques gros sous que se disputèrent deux ou trois petits ramoneurs, en criant : Vive monsieur Savenay ! vive monsieur Riquemont !

— Que diable ! monsieur, dit le jeune homme en l’arrachant de la fenêtre, qu’il referma violemment, tout ceci n’a pas le sens commun, et, si cette scène devait se renouveler, je quitterais sur-le-champ Saint-Léonard pour ne plus y rentrer. Je prétends ne point servir de jouet et de prétexte à la sottise des méchans. Pour qui me prend-on ici ? Je n’ignore pas que cette sérénade est un charivari à l’adresse du docteur Herbeau, et je tiens à ce qu’on sache que je rougis d’un pareil hommage.

Cependant la musique allait son train. Pour compléter l’affaire, une petite fille vêtue de blanc, blonde et rose comme un chérubin, jambes et bras nus, petits pieds chaussés de brodequins mignons, entra dans la salle à manger et s’avança gentiment vers le jeune docteur, qui reconnut Mlle Atala d’Olibès, la fille de la directrice de la poste aux lettres. Elle tenait d’une main une couronne d’immortelles et de l’autre un énorme bouquet de dahlias, si gros que c’était le bouquet qui semblait porter la belle enfant. Elle l’offrit à M. Savenay,