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LE DOCTEUR HERBEAU.

Herbeau n’aurait pas demain six pratiques dans la ville et aux environs ; me comprenez-vous maintenant ?

— Pas le moins du monde, dit M. Savenay.

— Comment, ventrebleu ! vous ne comprenez pas que je vous aime et que je vous veux du bien ! s’écria M. Riquemont. Oui, jeune homme, je l’avoue, je vous aime ; tout me plaît en vous. Nous avons les mêmes goûts, les mêmes idées, les mêmes opinions. Je vous ai tout de suite aimé, rien qu’en voyant votre cheval. Vous m’intéressez : je sais que vous avez, dans quelque coupe-gorge de la Creuse, une vieille bonne femme de mère qui vous pleure, une jeune fillette de sœur qui, faute de dot, ne peut se marier. Eh bien ! votre vieux Riquemont veut réunir la mère et le fils et donner un mari à la fille. Docteur Savenay, déclarez que votre confrère n’entend rien à la maladie de ma femme, et, dès aujourd’hui, je congédie le docteur Herbeau, je vous offre la clientèle du château et vous confie la santé de Louise.

Ayant ainsi parlé, M. Riquemont se frotta les mains d’un air triomphant et satisfait.

— Je vous comprends, monsieur, répondit M. Savenay. Croyez que je suis profondément touché de l’intérêt que vous voulez bien prendre à ma destinée. Vous me voyez heureux et confus des sentimens affectueux que vous avez daigné m’exprimer. Quant à la position que vous m’offrez, j’apprécie, n’en doutez pas, tout ce qu’elle a pour moi d’honorable et d’avantageux ; mais je ne saurais l’accepter.

— Vous refusez ! s’écria M. Riquemont.

— Je refuse, répliqua M. Savenay.

En cet instant, la conversation fut empêchée par un épouvantable vacarme qui ébranla tout à coup les vitres du jeune docteur. C’était un bruit d’instrumens tel que les murs de Jéricho n’en entendirent pas de pareil. S’étant approché du balcon pour voir ce que ce pouvait être, M. Savenay aperçut sous ses fenêtres un groupe de grotesques musiciens qui, aussitôt qu’ils le reconnurent, interrompirent brusquement l’ouverture de la Caravane pour attaquer vigoureusement le grand air de triomphe de la Muette. Une foule compacte encombrait les boulevarts, et quelques cris de : Vive le docteur Savenay ! éclatèrent çà et là dans les rangs. M. Savenay se retira du balcon et demanda d’un air irrité ce que signifiait cette plaisanterie. Son domestique lui répondit que c’était une sérénade que lui donnait la musique de la ville. En effet, la nouvelle du retour du jeune docteur, qu’on avait cru mort, s’étant répandue dans Saint-Léonard, ses par-