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se retrouve beaucoup de la vieille franchise française et de l’énergie de XVIe siècle sous la physionomie grecque de Chénier : ce sont deux frères en renaissance.

On sait l’admirable comparaison que celui-ci encore fait de lui-même et de son œuvre avec le travail du fondeur :

........De mes écrits en foule
Je prépare long-temps et la forme et le moule ;
Puis sur tous à la fois je fais couler l’airain
Rien n’est fait aujourd’hui, tout sera fait demain.

Clotilde, dans un beau fragment d’épître, rencontrera quelque image analogue pour exprimer le travail de refonte auquel il faut soumettre les vers mal venus.

Se veyons, s’épurant, la cire au feu mollir,

si nous voyons la cire s’épurer par la chaleur, dit-elle, les rimes au contraire ne s’épurent, ne se fourbissent[1] qu’à froid. Elle a commencé par citer agréablement Calysto, c’est-à-dire l’ourse qui a besoin de lécher long-temps ses petits,

Ses oursins, de tout point, naissants disgraciés ;

elle ajoute :

Point d’ouvrage parfait n’éclot du plus habile ;
Cuidez qu’en parle à fond : quand loisir m’est donné,
Reprends de mon jeune âge un fruit abandonné ;
Le revois, le polis ; s’est gentil, le caresse ;
Ainz, vois-je qu’est manqué, la flamme le redresse.

Mainte page ingénieuse nous offre ainsi, en détail, du Boileau refait et du Malherbe anticipé. On reconnaît qu’on a affaire à l’homme qui est surtout un poète réfléchi, et qui s’est fait sa poétique avant l’œuvre.

Lorsque l’élégant volume parut en 1803[2], avec son noble frontispice d’un gothique fleuri et ses vignettes de trophées, il ne se présenta point sous ce côté critique qu’aujourd’hui nous y recherchons. Il séduisit par le roman même de l’aïeule, par cette absence trop

  1. Au lieu de forbir, Vanderbourg a lu forcir, qu’il ne sait comment expliquer ; mais je croirais presque qu’il a mal lu son texte, ce qui serait piquant et prouverait qu’il n’y est pour rien.
  2. L’année même où parurent à Grenoble les Poésies de Charles d’Orléans, mais qui, bien moins heureuses que Clotilde, attendent encore un éditeur digne d’elles.