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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

l’Académie, on peut saisir le progrès de sa propre inclination : il entre dans l’amour de cette vieille poésie par Froissart qu’il apprécie à merveille comme esprit littéraire fleuri, d’une imagination à la fois mobile et fidèle. L’abbé Sallier lit, vers le même temps (1734), ses observations sur un recueil manuscrit des Poésies de Charles d’Orléans. Sans guère revenir au-delà des idées de Boileau et de l’Art poétique qu’il cherche seulement à rectifier, et sans prétendre à plus qu’à transférer sur son prince poète l’éloge décerné à Villon, le docte abbé insiste avec justesse sur le règne de Charles V et sur tout ce qu’il a produit ; il fait de ce roi sage, c’est-à-dire savant, le précurseur de François Ier. L’époque de Charles V, en effet, après les longs désastres qui avaient tout compromis, s’offrait comme une restauration, même littéraire, une restauration méditée et voulue. En bien ressaisir le caractère et l’effort, c’était remonter avec précision et s’asseoir sur une des terrasses les mieux établies du moyen-âge déclinant. Comme première étape, en quelque sorte, dans cette exploration rétrospective, il y avait là un résultat.

Charles d’Orléans et Froissart, ces deux fleurs de grace et de courtoisie, appelaient déjà vers les vieux temps l’imagination et le sourire. Hors de l’Académie, dans l’érudition plus libre et dans le public, par un mouvement parallèle, le même courant d’études et le même retour de goût se prononçaient. La première tentative en faveur des poètes d’avant Marot, et qui les remit en lumière, fut le joli recueil de Coustelier (1723), dirigé par La Mounoie, l’un des plus empressés rénovateurs. Les éditions de Marot par Lenglet-Dufresnoy (1731) divulguaient les sources où l’on pouvait retremper les rimes faciles et les envieillir. La réaction chevaleresque à proprement parler put dater des éditions du petit Jehan de Saintré (1724), et de Gérard de Nevers (1725), rendues dans le texte original par Guellette : Tressan ne fera que suivre et hâter la mode en les modernisant. On voit se créer dès-lors toute une école de chevalerie et de poésie moyen-âge, de trouvères et de troubadours plus ou moins factices ; ils pavoisent la littérature courante par la quantité de leurs couleurs. Tandis qu’au sein de l’Académie les purs érudits continuaient leur lent sillon, ce qui s’en échappait au dehors éveillait les imaginations rapides. Le savant Lévesque de la Ravalière donnait, en 1742, son édition des Poésies de Thibaut de Champagne, roi de Navarre, une renommée romanesque encore et faite pour séduire. Sainte-Palaye en recueillant ses Mémoires sur la Chevalerie, le marquis de Paulmy en exécutant sa Bibliothèque des Romans et plus tard ses Mélanges tirés d’une grande