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cueille ces fausses médailles que les curieux s’empressent de mettre à côté des véritables, et dont le rapprochement est utile à l’étude même de l’art. » Et il citait l’exemple fameux de Chatterton, fabriquant, sous le nom du vieux Rowley, des poésies remarquables, qui, par le suranné de la diction et du tour, purent faire illusion un moment. Comme exemple plus récent encore de pareille supercherie assez piquante, il rappelait les Poésies occitaniques, publiées vers le même temps que Clotilde, et que Fabre d’Olivet donna comme traduites de l’ancienne langue des troubadours. Elles étaient, en grande partie, de sa propre composition ; mais, en insérant dans ses notes des fragmens prétendus originaux, Fabre avait eu l’artifice d’y entremêler quelques fragmens véritables, dont il avait légèrement fondu le ton avec celui de ses pastiches ; de sorte que la confusion devenait plus facile et que l’écheveau était mieux brouillé.

Si donc Clotilde de Surville, au jugement des philologues connaisseurs, n’est évidemment pas un poète du XVe siècle, ce ne peut être qu’un poète de la fin du XVIIIe, qui a paru au commencement du nôtre. Nous avons affaire en elle, sous son déguisement, à un recueil proche parent d’André Chénier, et nous le revendiquons.

M. Villemain, dans ses charmantes leçons, avec cette aisance de bon goût qui touchait à tant de choses, ne s’y est pas trompé, et il nous a tracé notre programme. « Encore une remarque, disait-il après quelques citations et quelques observations grammaticales et littéraires. M. de Surville était un fidèle serviteur de la cause royale. Il s’est plu, je crois, dans la solitude et l’exil, à cacher ses douleurs sous ce vieux langage. Quelques vers de ce morceau sur les malheurs du règne de Charles VII sont des allusions visibles aux troubles de la France à la fin du XVIIIe siècle. C’est encore une explication du grand succès de ces poésies. Elles répondaient à de touchans souvenirs ; comme l’ouvrage le plus célèbre du temps, le Génie du Christianisme, elles réveillaient la pitié et flattaient l’opposition[1]. »

Mais, avant de chercher à s’expliquer d’un peu près comment M. de Surville a pu être amené à concevoir et à exécuter son poétique dessein, on rencontre l’opinion de ceux qui font honneur de l’invention, dans sa meilleure part du moins, à l’éditeur lui-même, à l’estimable Vanderbourg. Cette idée se produit assez ouvertement dans l’éloge de cet académicien, prononcé en août 1839 par M. Daunou, et je la lis résumée en trois lignes dans une lettre que le vénérable

  1. Tableau de la Littérature au moyen-âge, tome II.