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il ne nous resta plus en fait de colonies que quelques îles à sucre ou des établissemens sans importance en terre ferme, il fallait comprendre que le système d’une navigation réservée avait fini son temps, et qu’on devait songer à se faire une place sur les mers avec d’autres ressources, par d’autres procédés. On avait un exemple frappant de ce que peut l’audace dans la manière dont les Américains s’étaient emparés des marchés du globe, malgré la jalousie anglaise et les avantages de la priorité. C’était dans ce sens qu’il fallait marcher, et non sur les traces des lentes routines d’autrefois.

Si le gouvernement s’élève un jour à l’intelligence complète des intérêts généraux, il comprendra ce que vaut la marine marchande et songera sérieusement à elle. Les petites faveurs dont elle a été l’objet n’ont servi qu’à l’endormir dans une indolente sécurité et à circonscrire son effort dans un cercle d’opérations timides. L’esprit de nos lois, la nature de nos habitudes, sont même antipathiques à son essor. On dirait que nous ne travaillons qu’à pouvoir nous passer du reste de l’univers, et le dernier terme de nos succès dans cette voie serait de tout produire, de tout consommer sur place, sans rien demander au dehors, sans rien lui fournir. Bien des symptômes feraient croire que c’est là l’économie politique la plus populaire en France. N’a-t-on pas dit, à la tribune, qu’une invasion de bestiaux étrangers serait une calamité publique, et que fortuné serait le jour où chaque paysan pourrait lui-même confectionner son sucre ? Vouloir tout faire de ses mains et payer un tribut continuel à la nationalité des produits, tel est le régime qui règle la fortune de la France. La nature pourtant procède dans un sens inverse ; elle place une denrée dans le nord, une autre dans le midi, et convie ainsi les deux zones à des échanges incessans. Elle a voulu que l’Amérique eût besoin de l’Europe, l’Europe de l’Amérique, et que les pays, même les plus voisins, même les plus identiques, continssent des élémens assez divers pour s’attirer les uns les autres. Ce sont là des liens mystérieux auxquels il est presque impie de se soustraire.

L’une des principales causes de l’infériorité de notre marine marchande tient précisément à ce que les lois fiscales nous empêchent de demander à l’étranger des objets qu’il offre en meilleure qualité et à meilleur compte que ne le sont ceux de nos fabriques ou de notre sol. Ainsi, pour le fer et le bois, ces deux bases des constructions navales, nos armateurs sont contraints de subir les produits inférieurs que fournit la France, ou bien de supporter les droits excessifs qui frappent les similaires exotiques. Qu’en résulte-t-il ?