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LA FLOTTE FRANÇAISE.

points du globe. Mais ces besoins sont du nombre de ceux qui s’excitent par leur satisfaction même, et leur intensité empire à chaque succès. La politique de l’Angleterre, au lieu de commander aux situations, leur est ainsi subordonnée ; elle est devenue une politique d’intérêt, une politique manufacturière. Dès-lors elle ne peut plus répondre de rien, elle ne peut pas engager l’avenir, il ne lui appartient pas. Les métiers, les martinets de forge vident les questions de paix ou de guerre, la diplomatie se règle sur l’état des marchés, et la justice des décisions est à la merci des commandes. De toute évidence, un gouvernement placé dans ces conditions n’a pas l’entière liberté de ses mouvemens, et il peut arriver qu’il soit contraint à attaquer les autres pour n’avoir pas à se défendre lui-même. Une force sérieuse, permanente, lui est donc nécessaire ; il faut qu’il ait constamment les moyens de provoquer une diversion aux misères de ses ouvriers et aux fluctuations de son industrie.

Le désarmement est donc moins facile pour l’Angleterre qu’elle ne le croit, qu’elle n’affecte de le dire. Mais, sa proposition fût-elle plus sérieuse, il faudrait encore se garder d’y adhérer. On ne saurait trop le répéter, il n’y a pas, entre les deux pays, de parité possible, et un équilibre apparent pourrait au fond n’être qu’une disproportion effrayante. De ce côté de la Manche, les armemens se poursuivent avec une lenteur mortelle ; de l’autre côté, ils s’improvisent. Woolwich, Sheerness, Plymouth, Deptfort, Chatham, Portsmouth, sont encombrés d’objets d’équipement et d’approvisionnement ; Toulon, Brest, Cherbourg, ont souvent manqué des choses les plus usuelles, les plus indispensables. La création d’une flotte est un jeu pour l’Angleterre ; pour nous, c’est un travail pénible, un long enfantement. Nous avons aujourd’hui les élémens d’une organisation viable, laissons-les se développer. Assez long-temps on a fait de la marine une toile de Pénélope où les uns s’ingéniaient à détruire ce que les autres avaient créé. Le système de l’armement permanent nous a ramenés dans une bonne voie : ne nous laissons troubler dans cet essai, ni par les séductions, ni par les menaces. Comme expédient et comme concession, on a proposé de désarmer les vaisseaux et de garder les hommes, mais quel serait le rôle des hommes hors des vaisseaux ? La vertu du système actuel est toute dans cette identification, si l’on peut s’exprimer ainsi, des marins et des bâtimens. On forme ainsi des matelots, on les tient constamment en haleine, constamment exercés, et on les renouvelle en les exerçant encore.

La question étant ainsi vidée, quant aux offres un peu intéressées