Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 28.djvu/332

Cette page a été validée par deux contributeurs.
328
REVUE DES DEUX MONDES.

que la France ne semble pas destinée à posséder. Sa marine militaire s’alimente dans une réserve de 180,000 matelots, tandis que la nôtre roule dans un cercle de 50,000 hommes. Que chaque nation obéisse à son génie et à sa fortune : notre pays ne peut pas aspirer à l’empire des mers, mais il faut qu’il soit assez fort pour en assurer la liberté. Ce n’est pas pour nous une question d’ambition, mais d’indépendance. Notre commerce appelle une protection chaque jour plus nécessaire ; nos possessions coloniales, si réduites qu’elles soient, ne sauraient se passer de l’appui du pavillon national. Laisser de semblables intérêts à la merci d’un peuple rival, ne paraître sur les mers que sous son bon plaisir et relever entièrement de son caprice, serait une abdication si formelle, que personne en France, il faut le croire, ne se résignerait à la subir. Cette abdication, d’ailleurs, n’est plus possible depuis qu’une province nouvelle a été fondée dans le nord de l’Afrique. La libre circulation de la Méditerranée importe à la conservation d’Alger, et si nous ne nous sentions pas la force de défendre, en tout temps, par tous les moyens, une conquête si chèrement payée, il vaudrait mieux l’abandonner sur-le-champ aux dévastations des Arabes.

Il faut que nous soyons respectés sur les mers : les plus grandes questions de notre époque n’auront pas d’autre théâtre. Mille difficultés, souvent signalées, toujours présentes, dominent encore la politique et enchaînent les états à des mesures de précaution. L’Orient est ce qu’il était, ce qu’il sera tant que les ambitions qui méditent sa ruine ne seront pas satisfaites ; la Grèce, la Crète, Tunis, l’Espagne, offrent des embarras qu’il est plus facile d’ajourner que de faire disparaître. Une surveillance active est donc commandée sur divers points, pour diverses causes. Nos flottes seules peuvent y pourvoir. Toujours disponibles et prêtes à se porter vers les points compromis, elles sont l’arme de la situation. Leurs mouvemens n’ébranlent pas l’Europe comme le ferait la marche de nos bataillons ; elles ne portent pas nécessairement la menace dans leurs flancs, et peuvent réduire leur rôle à une protection pacifique. Une flotte, c’est la paix, mais la paix vigilante, et par conséquent durable, la paix fondée sur la puissance, la force dans le repos. Vingt vaisseaux de ligne ne sauraient en aucun cas être considérés comme un effectif de guerre : ce nombre est à peine suffisant pour former les marins nécessaires à notre défense. L’Angleterre peut désarmer ses flottes, car son commerce ouvre ses cadres aux matelots congédiés, les salarie, les perfectionne, et les lui rend de nouveau au premier appel. Le personnel