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LA FLOTTE FRANÇAISE.

l’avenir entier du pays, tantôt il s’en éloigne comme d’une arme impuissante et inutile. Il ne sait garder de mesure ni dans l’engouement ni dans le délaissement. Aucune persévérance, aucun effort soutenu ! Avec Colbert et Seignelay, nos escadres atteignent des proportions inouies. On a 60,000 marins en activité, 100 vaisseaux à la mer, d’autres sur le chantier. La bataille de La Hogue arrête cet essor, et Dubois, complice de l’Angleterre, lui sacrifie les débris de nos escadres. Machault cherche à les réorganiser vers le milieu du dernier siècle, mais une intrigue le renverse du ministère, et des amiraux de cour, tels que Laclue et Conflans, compromettent nos armes d’une manière irréparable. Des échecs honteux se succèdent. Sous de Boyne, l’abaissement est tel, que l’on fait vendre aux enchères les approvisionnemens et les agrès. Sous d’Aiguillon, il va plus loin encore. Le cabinet de Londres exige le désarmement de nos derniers vaisseaux, et une frégate anglaise vient mouiller dans la rade de Toulon pour appuyer cette injonction impérative. La guerre de l’indépendance américaine donne à nos flottes l’occasion d’une revanche ; elles y effacent leurs échecs antérieurs et balancent la fortune de nos rivaux. La révolution et le consulat sont moins heureux. Deux grands désastres les traversent ; nos armées navales sont anéanties : quelques succès brillans et isolés protestent seuls pour l’honneur du pavillon. Sous l’impression de ces évènemens, Napoléon désespère de notre marine, et, tout entier à ses gloires continentales, il la confine désormais dans un rôle secondaire.

On voit par quelles alternatives a passé notre établissement maritime. Faute de le maintenir d’une manière constante, chaque effort nouveau équivalait à une création : au lieu de continuer, on recommençait, de fond en comble. Des sommes énormes ont été ainsi prodiguées sans profit et sans honneur. Cependant l’existence d’un état naval est si inséparable du jeu régulier des forces françaises, que la marine s’est toujours relevée d’elle-même, par sa propre vertu, en dépit des préventions et des obstacles. La nature, qui nous a donné un magnifique littoral sur trois mers, nous condamne à ce souci et à cette gloire. Il est des tâches qu’on ne peut pas déserter, si ingrates qu’elles soient, des devoirs qu’il faut remplir même au prix de quelques mécomptes. L’empire appartient tôt ou tard aux peuples qui ne s’abandonnent pas ; c’est à cette condition seulement que le destin leur ménage des diversions imprévues et des réactions inespérées.

Depuis la paix de 1815, et depuis quelques années surtout, la marine tend à reprendre en France la position qu’elle n’aurait jamais