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geurs puisent dans une vie aventureuse des qualités inconnues aux peuples sédentaires, la persévérance, la résignation, le besoin d’activité. Leur courage se forme par les hasards, leurs idées s’agrandissent par l’observation. De là, leur rôle si brillant, leur puissance d’initiative, et ces titres de supériorité qui doublent la valeur du nombre.

Quand ce caractère entreprenant s’affaiblit chez un peuple, on peut présager avec certitude sa décadence. Le Portugal a eu sa période d’expansion lointaine. Son pavillon est le premier qui se soit déployé dans l’Océan indien ; et Albuquerque sut long-temps en maintenir le prestige. Cabral et Juan de Barros le firent reconnaître dans l’Amérique du sud et y fondèrent un vaste empire. Que reste-t-il aujourd’hui de tout cela ? Qu’est devenu le Portugal, depuis que, désertant son rôle actif, il s’est, pour ainsi dire, replié sur lui-même ? Chacun peut le voir et calculer ce que l’esprit national a dû perdre de vigueur dans cette abdication graduelle. L’exemple de l’Espagne n’est pas moins décisif. On se souvient de ce que fut sa marine dans la période de découvertes, honneur éternel du XVIe siècle. Cette fortune si rapide, si merveilleuse, qui la mit, pendant un siècle, à la tête de tant de royaumes et de tant de trésors, n’a pas survécu à l’agent qui l’avait conquise. À mesure que la navigation déclinait, on voyait s’en aller les mines du Mexique et du Pérou, les galions et les capitaineries. Sous le coup de ces pertes ; l’Espagne s’est peu à peu éteinte : la paralysie, mal combattue aux extrémités, a fini par gagner le cœur. Cette brillante existence s’est évanouie le jour où l’effort extérieur a cessé, et l’on dirait que le génie espagnol s’est brisé sur les récifs anglais en même temps que les vaisseaux de la célèbre Armada.

La marine élève donc les petits états, et, quand elle manque aux grands, ils déchoient. Ces deux faits suffisent pour fixer son importance. Les nations qui veulent tenir leur rang doivent dès-lors, parmi leurs moyens défensifs, faire figurer en première ligne une flotte imposante, une organisation navale placée à l’abri des caprices de l’opinion et des intermittences de la politique. La puissance n’est complète qu’à ce prix. Fût-il maître du continent entier, un peuple serait faible encore, si les mers lui étaient interdites.

Jusqu’ici la France ne semble pas avoir apporté un grand esprit de suite dans la gestion de ses intérêts maritimes. L’histoire de nos flottes se compose d’une succession de triomphes éclatans et de grands désastres, de périodes lumineuses et sombres. L’esprit public obéit à cette alternative. Tantôt il semble faire reposer sur la marine