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REVUE DES DEUX MONDES.

roucoule pas autour de vous comme ce gros pigeon d’Aristide, ce jeune homme ne vous plaît pas ? j’en suis fâché ! il me plaît, à moi, et charbonnier est maître en sa maison.

— Encore une fois, dit Louise les larmes aux yeux, mon ami, vous n’y songez pas ; réfléchissez un instant, et vous comprendrez que, lors même que M. Herbeau serait tout aussi déplaisant que vous le prétendez, ce qui n’est pas, il faudrait encore lui conserver ses droits.

— Qu’est-ce à dire ? demanda brutalement M. Riquemont.

— Il est des circonstances où nous devons savoir sacrifier nos sympathies et nos antipathies aux exigences du monde, et de toute façon il serait peu convenable que les assiduités de M. Savenay succédassent ici à celles de M. Herbeau.

— Qu’est-ce à dire, madame ? répéta M. Riquemont d’une voix tonnante.

Louise rougit, se tut, puis enfin, faisant un pénible effort sur sa timidité :

— Je veux dire, mon ami, répondit-elle, que la sollicitude que vous semblez avoir pour ma santé me touche vivement, mais que je désirerais vous voir aussi jaloux du soin de ma réputation. Je veux dire que vous êtes rarement au château, que M. Savenay est jeune, et que le monde est méchant.

— Madame, répliqua M. Riquemont avec un ton sentencieux, la réputation est à la vertu ce que la physionomie est au cœur, et vous savez qu’il est des physionomies menteuses. Pour ce qui est de la rareté de ma présence au château, j’y suis encore assez souvent pour ne rien perdre de ce qui s’y passe ; et quant à la jeunesse de M. Savenay, je conviens avec vous que les vieux sont beaucoup plus commodes.

Là-dessus, M. Riquemont se retira, laissant Louise à sa douleur, à son effroi et à ses réflexions, car les dernières paroles de son mari étaient une énigme pour elle, et vainement elle essaya d’en pénétrer le sens.


Jules Sandeau.
(La fin au prochain no.)