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LE DOCTEUR HERBEAU.

À cette proposition, Louise tressaillit d’effroi. Soit que le trouble de son cœur se fût trahi déjà, et que son mari cherchât à le surprendre, soit que M. Riquemont parlât sérieusement et fût décidé à remplacer le vieux médecin par le jeune, les deux cas étaient également embarrassans pour Louise, qui n’entrevoyait ni dans l’un ni dans l’autre de grands motifs de sécurité. Toutefois, il faut le dire à la gloire de la pauvre enfant, elle s’effrayait moins des soupçons qui pesaient peut-être sur son innocence, que des dangers réels qui la menaçaient. L’idée que M. Savenay pourrait venir au château aussi fréquemment que l’avait fait le bon Aristide, la frappait d’une instinctive épouvante. Louise était d’ailleurs sincèrement attachée au docteur Herbeau, et son cœur ne pouvait se résoudre à congédier ce vieil ami, dont la tendresse avait distrait si souvent les ennuis d’une tristesse amère. Mme Riquemont fut donc de bonne foi dans la chaleur qu’elle mit à repousser la proposition de son mari.

— Mon ami, s’écria-t-elle vivement, vous n’y songez pas ! quitter M. Herbeau que nous connaissons depuis deux ans, un homme de cœur, un ami sûr et dévoué, le quitter sans motif, pour M. Savenay que nous connaissons à peine ! Vous-même ne le voudriez pas. Que M. Savenay soit un sujet distingué, un médecin habile, je vous l’accorde ; mais n’est-ce pas une raison de plus pour conserver M. Herbeau, puisque M. Savenay, dont vous reconnaissez le mérite, a rendu un hommage éclatant à celui que vous dénigrez ? Qu’est-ce donc que cette humeur irascible que vous nourrissez contre M. Herbeau ? vous êtes sans pitié pour ses ridicules ; tous, n’avons-nous pas les nôtres ? Mon ami, ayez quelque indulgence. Je vous livre bien volontiers Colette, mais, de grace, laissez-moi mon docteur, ajouta-t-elle en souriant.

— Voilà bien comme vous êtes toutes ! s’écria le campagnard, qui interprétait dans le sens de sa jalousie la résistance de Louise ; voilà comme vous êtes toutes ! répéta-t-il en se levant. Si je vous proposais de conserver M. Herbeau, vous pleureriez pour avoir M. Savenay. Eh bien ! je vous dis, moi, que M. Savenay sera votre docteur. Pensez-vous qu’il me soit agréable d’entretenir ici une vieille perruque qui n’est bonne à rien ? de payer deux visites par semaine, d’avoir un âne à ma table, une bourrique dans mon écurie, et vous malade, par-dessus le marché ? Non, de par tous les diables ! Vous me demandez ce que j’ai contre votre Herbeau : je vous demande, moi, ce que vous avez contre mon Savenay ? Parce qu’il ne vous crible pas de complimens, qu’il ne fait pas la roue devant votre soleil, qu’il ne