Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 28.djvu/309

Cette page a été validée par deux contributeurs.
305
LE DOCTEUR HERBEAU.

petite s’ennuie quand elle est seule. N’est-ce pas, Louison, ajouta-t-il en lui pinçant la joue, que tu t’ennuies, quand tu n’as pas ton petit Riquemont ?

— Mais, mon ami, dit Louise, qui s’effrayait instinctivement à l’idée de demeurer seule avec ce jeune homme, ne sauriez-vous vous dispenser de vous absenter aujourd’hui ? Je crains que monsieur ne s’ennuie.

— Me dispenser d’aller à la foire de Pouligny ! s’écria M. Riquemont, la plus belle foire de chevaux du département !… Le docteur ne s’ennuiera pas avec toi : pas vrai, docteur ? Manquer la foire de Pouligny ! c’est comme si M. le curé manquait la messe le dimanche.

En disant cela, il s’attachait autour du corps une ceinture de cuir garnie de gros écus sonnans, passait sur son habit une blouse bleue à passemens rouges, et s’armait d’un gros bâton ferré qu’il portait aux foires en guise de cravache. Son cheval de bataille l’attendait sur la terrasse. Il serra la main de Savenay, et partit en promettant de revenir le soir.

Ce fut encore un heureux jour. Louise emmena Savenay visiter avec elle les métairies voisines qui avaient le plus souffert de l’orage de la veille. Faibles tous deux et souffrans, ils marchaient d’un pas lent, non sans des haltes fréquentes le long des sentiers couverts. Ils purent s’assurer eux-mêmes des dégâts causés par la foudre et la grêle. M. Riquemont n’avait rien exagéré. Ils aperçurent au loin la ferme de Gros-Rois qui n’était plus qu’un monceau de ruines. Louise, sur son passage, essuya plus d’une larme et fit renaître l’espoir dans plus d’un cœur découragé. Elle était bonne pour ses paysans, et tous l’aimaient. Tous semblèrent heureux de la voir au bras de ce beau jeune homme qui l’accompagnait, et les petits enfans de Saint-Herblain lui demandèrent, en la tirant par sa robe, si elle avait changé de mari. La journée se passa ainsi, çà et là, sous les toits de chaume. Ils partagèrent gaiement le repas rustique et émiettèrent le pain bis dans le lait fumant. Savenay se prêtait à tous ces enfantillages avec une grace dont sa gravité naturelle relevait singulièrement le prix. Il y avait un mariage au Coudray : Louise et Henri restèrent quelques instans à voir danser la noce dans une grange. Ils attendirent pour retourner au château que le soleil eût amorti l’ardeur de ses rayons. Ils revinrent, causant des misères qu’ils avaient soulagées, admirant les jeux de la lumière dans le feuillage et sur les coteaux, comparant les sites de la Vienne avec les aspects de la