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LE DOCTEUR HERBEAU.

— Jeune homme, vous ne buvez pas, disait M. Riquemont, chaque fois qu’il remplissait son verre.

— Vous souffrez, monsieur, dit enfin Mme Riquemont.

Savenay essaya de se lever, mais il chancela aussitôt, et on eût dit que le souffle de la mort venait de passer sur son visage. Louise courut à lui et remarqua avec effroi que son gilet était taché de sang. M. Riquemont le prit dans ses bras et le porta dans la chambre qui lui avait été réservée. Louise n’osa pas l’y suivre : elle attendit avec anxiété, donnant des ordres et veillant à toute chose avec une sollicitude que rien ne saurait exprimer. Au bout d’un quart d’heure, M. Riquemont descendit. Ce n’était rien ; en luttant contre son cheval effaré, M. Savenay avait reçu un coup violent dans la poitrine, et ce coup avait rouvert une blessure mal fermée ; voilà tout.

— Mais cela est très grave, dit Louise. Qu’est-ce que cette blessure ?

— Louison, répondit M. Riquemont, je crois pouvoir affirmer que c’est un joli petit coup d’épée. Quelque histoire galante ! quelque aventure romanesque ! ajouta-t-il en se frottant les mains de l’air d’un homme qui se connaît à ces sortes d’affaires.

— Il faut envoyer chercher M. Herbeau, dit Louise.

— C’est inutile, répliqua M. Riquemont ; les loups ne se mangent pas entre eux. D’ailleurs, Savenay, en homme d’esprit, a déclaré qu’il se soignerait lui-même.

Louise, accompagnée de son mari, se rendit auprès du malade. Il était assez calme et ne souffrait que d’une forte oppression. Il voulut parler, mais la jeune femme l’en ayant empêché par un geste charmant, pendant que M. Riquemont rôdait dans la chambre en sifflant, il lui prit une main qu’il baisa silencieusement. Louise n’avait jamais senti sur ses mains d’autres lèvres que celles du docteur Herbeau ; elle se retira le cœur en émoi. La nuit qu’elle passa fut moins calme encore que la précédente ; turbulente, agitée, fiévreuse et cependant inondée d’un sentiment de bonheur qui en fit une nuit enchantée. L’aube recommençait, l’aube resplendissante dont nous parlions tout à l’heure. À cette enfant qui venait de vivre les deux plus belles années de sa jeunesse près de M. Riquemont, et qui n’avait eu jusqu’alors d’autres distractions à ses ennuis que la galanterie de M. Herbeau, ni d’autres évènemens dans sa vie que les visites du médecin, cette journée devait sembler tout un poème. Ce fut un poème en effet qui se chanta dans ce jeune cœur. Au lieu de chercher le som-