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rable. La vérité est que je trouve Mme Baretty, non point pas mal, mais extrêmement bien, et à votre place…

— À ma place ?

— Je risquerais de déplaire à son ogre de mari.

— C’est fait, dis-je étourdiment.

Ces mots lâchés, je m’en repentis, mais il était trop tard, et les questions de Maléchard m’arrachèrent un aveu complet. En apprenant la cause du désastre dont les potines du Japon avaient été la victime, il partit d’un éclat de rire si franc, que je ne pus me retenir de partager son hilarité.

— Allons ! courage ! me dit-il avec une gravité bouffonne ; sus à la Barbe Bleue ! haro sur ce sauvage qui ne veut pas qu’on trouve sa femme jolie ! Point de quartier à ce barbare ! Vous savez qu’il tire aux jambes, visez-le à la tête.

En retour de ma franchise, mon ami finit par m’avouer que j’avais deviné juste, et que son voyage n’avait d’autre cause que la passion violente et peu récompensée qu’il éprouvait depuis plusieurs mois pour Mme Richomme. Je le complimentai sur son goût, qu’au fond je trouvais au moins singulier, vu le peu d’attraits dont la dame me semblait pourvue. À son tour, il reconnut que Mme Baretty était une de ces femmes pour qui, selon la pittoresque expression du plus spirituel de nos poètes, on se ferait rompre les os. Devenus ainsi confidens l’un de l’autre, nous nous quittâmes en parfaite intelligence, après nous être promis discrétion à toute épreuve et secours au besoin.

Ma conversation avec Maléchard m’affermit dans mes projets aventureux, ou plutôt me barra la retraite. En effet, comment reculer, maintenant que j’avais choisi pour confident de mes désirs et de mes espérances un maître railleur qui n’eût pas manqué d’attribuer toute démarche rétrograde à une prudence fort peu héroïque ? La crainte du ridicule se joignit à la tendre attraction que je subissais déjà, et, par vanité autant peut-être que par entraînement, je résolus de mettre immédiatement en usage tous les moyens de séduction dont m’avait doué la nature.

Le lendemain, je ne revis Mme Baretty qu’à l’instant du déjeuner. Elle me parut triste. Quoique au fond je me sentisse l’humeur allègre, je dus me mettre à l’unisson de cette tristesse, car, en amour ainsi qu’en musique, il est une tonalité rigoureuse à laquelle il faut se conformer sous peine de jouer faux. Une femme languis-