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nids et secouent leurs ailes humides ; les coqs chantent dans les villages ; écoutez, le feuillage n’a-t-il pas frissonné sous le frais baiser des brises du matin ? Mais les feuilles sont immobiles ; voilà déjà que les trompeuses lueurs pâlissent et s’effacent ; l’horizon s’éteint, la terre se rendort, le voyageur poursuit sa route à la clarté des étoiles, et le char de la nuit reprend sa course silencieuse.

Depuis le grand jour de la consultation, plusieurs jours s’étaient écoulés, et M. Savenay n’avait point reparu au château de Riquemont. Une fois seulement il avait envoyé demander des nouvelles de Louise. Le docteur Herbeau était redevenu, comme par le passé, l’unique distraction du logis ; mais Louise n’y trouvait plus le charme d’autrefois. Elle était d’une tristesse que rien ne pouvait dissiper ; Aristide, d’une gravité qui n’osait plus se compromettre. M. Riquemont, toujours présent à leurs entrevues, les observait tous deux avec une attention qui imposait singulièrement au docteur et ne lui permettait même pas de risquer à la dérobée un sourire, un regard, une pression de main furtive.

Ce n’était déjà plus entre ces trois personnages l’intimité dont nous parlions voici quelques heures. Les petits incidens qui l’avaient si long-temps égayée semblaient devoir ne plus jamais se reproduire. M. Riquemont n’avait plus cette brutale jovialité qui valait autrefois de si doux dédommagemens à son hôte. Il se montrait grave, sérieux, presque poli ; Aristide ne savait que penser de ce changement de manières et se tenait prudemment sur ses gardes.

D’un autre côté, l’humeur enjouée de Louise, n’étant plus attisée par la galanterie de l’ami ni par les vertes saillies du maître, achevait de s’éteindre sous les cendres de la jeunesse. Louise se souvenait d’un jour où mille voix divines s’étaient mises à chanter en elle et autour d’elle, d’un jour éclatant où la vie avait fait explosion dans son sein et s’y était épanouie en gerbes éblouissantes ; ce souvenir aggravait ses ennuis. Son caractère, que n’avaient pu altérer deux années de souffrance, était devenu tout à coup inégal, inquiet, bizarre, inexplicable ; elle allait même parfois jusqu’à s’irriter de la présence et des soins de l’excellent docteur. Le pas de Colette l’agaçait, la sollicitude d’Aristide lui était importune. Un jour, elle refusa de le recevoir, et le bonhomme s’en retourna l’ame toute navrée. Mais cette petite disgrace devait raffermir le galant vieillard dans son bonheur, et le reporter au meilleur temps de sa liaison avec la jeune châtelaine.

Louise était bonne et charmante ; le docteur n’était pas au bout de