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LE DOCTEUR HERBEAU.

pour étudier les mœurs et les coutumes de la France. Les lettrés de l’endroit citaient, à l’appui de cette opinion, l’exemple du czar Pierre-le-Grand qui s’était fait charpentier à Saardam.

La confiance était rentrée dans le cœur du docteur Herbeau, mais non dans celui d’Adélaïde. L’épouse jugeait sainement de la position et ne prenait pas au sérieux ce temps d’arrêt sur le bord de l’abîme. Elle comprenait parfaitement qu’Henri Savenay n’était pas un prince étranger, mais un bel et bon médecin qui ne se ferait point faute de gripper un à un les malades du crédule Aristide. Aussi ne se reposait-elle que sur le prochain retour de Célestin, qu’elle attendait d’un jour à l’autre. La chambre qu’on lui destinait sous le toit paternel était prête à le recevoir ; Mme Herbeau l’avait parée elle-même avec la tendre coquetterie d’une mère ; tout y était blanc et virginal, comme l’ame qui devait l’habiter : un nid de colombe, un sanctuaire de vestale. Cependant les jours suivaient les jours, et Célestin n’arrivait pas. Mais Aristide trouvait à ces retards mille prétextes ingénieux, mille spécieuses excuses. On ne quitte pas en vingt-quatre heures une ville où l’on a séjourné pendant cinq ans et plus. Célestin devait avoir des affaires à régler, des relations à ménager. Lord Flamborough s’était opposé sans doute à ce brusque départ. Peut-être aussi quelques études à compléter ; Célestin n’avait pas voulu quitter le jardin des Hespérides sans en avoir dérobé toutes les pommes d’or. Peut-être enfin les loups interceptaient-ils le passage entre Castaro et Langogne : mieux valait un retard de quelques jours que de savoir Célestin exposé à l’appétit de ces grossiers animaux. Adélaïde se rendait à ces raisons, et le perfide et bon docteur s’en remettait à la destinée du soin de dévider l’écheveau de fil qu’il avait si étourdiment embrouillé.

Le château de Riquemont avait, de son côté, repris son mouvement, disons mieux, son repos habituel. M. Riquemont était retourné à ses champs et à ses poulains, Louise aux ennuis qui la consumaient. Le poids de l’existence, un instant soulevé, venait de retomber plus lourd et plus écrasant sur son cœur. Il ne lui restait plus qu’un souvenir confus de l’apparition lumineuse qui avait brillé dans sa vie, comme un rayon traverse l’ombre ; elle n’en gardait plus qu’une vague impression, pareille à celles produites par les rêves. Ç’avait été dans son ame comme une de ces aubes resplendissantes qui s’allument parfois dans la nuit et semblent annoncer le jour. Le voyageur qui chemine dans l’ombre, voyant soudain l’horizon blanchir, s’étonne de la fuite des heures ; les oiseaux gazouillent dans leurs