Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 28.djvu/276

Cette page a été validée par deux contributeurs.
272
REVUE DES DEUX MONDES.

— Il ne faut réveiller personne, interrompit Aristide.

— Je vous le dis, vous avez jeté hier votre dernier éclat, et l’heure n’est pas éloignée où votre étoile va pâlir. Ne nous aveuglons pas. M. Savenay est un cavalier de la plus belle mine ; je l’ai vu, de mes propres yeux vu, et vous pouvez m’en croire ; je m’y connais. M. Savenay arrive de Paris ; il est jeune. Tout révèle en lui une distinction parfaite. Je ne sais rien de son talent. Hier, s’il vous en faut croire, il s’est humilié devant vous et vous a rendu hommage : je le veux bien, mais je crains fort qu’en tout ceci il n’ait été, à votre insu, votre compère et votre complice. Tenez, je serai franche jusqu’à la rudesse ; je crois qu’il s’est moqué de vous.

— Madame Herbeau ! s’écria le docteur, rouge comme la crête d’un coq.

— Il vous a dit, poursuivit Adélaïde, qu’il serait heureux de reprendre auprès de vous les cours qu’il n’a qu’imparfaitement suivis à Paris, et vous avez cru cela, vous ! Vous avez pris au mot cette hypocrite modestie ! Vous vous êtes laissé choir au piége de cette humilité perfide ! Je vous le répète, avant qu’il soit long-temps, si vous n’y veillez de près, vous verrez M. Savenay giboyer sur vos terres ; heureux, s’il vous permet de tirer, par-ci par-là, quelque lièvre efflanqué ou quelque perdrix étique. En vérité, crédule que vous êtes, c’est vous, et non pas lui, qu’il faut renvoyer à l’école.

— J’en perdrai la tête, murmura le docteur ; quel salmis de métaphores incohérentes ! Du moins, Adélaïde, mettez de l’analogie dans vos images.

— Il s’agit bien d’analogie ! Dans cette occurrence, que prétendez-vous faire ? demanda Mme Herbeau.

— Mais, pour Dieu, que voulez-vous que je fasse ! s’écria le docteur avec désespoir.

— Je vais vous le dire. Après vous avoir montré le mal, je vais vous indiquer le remède. Je veux que vous sortiez vainqueur de cette grande et terrible épreuve. Vous le pouvez, il en est temps encore. Vous pouvez, par un coup de maître, prévenir la réaction qui se prépare contre vous, déjouer les espérances de vos ennemis, et fonder dans cette contrée la dynastie des Herbeau. M. Savenay est jeune, renaissez plus jeune que lui ; comme le phénix, élancez-vous radieux de vos cendres.

— De mes cendres ! dit Aristide.

— Renaissez dans votre fils. Célestin vient d’achever ses cours à Montpellier ; appelez près de vous cet ange que nous n’avons pas em-