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LE PARATONNERRE.

toujours été laborieux. Si j’avais triomphé quelquefois, ce n’avait été qu’à force d’entêtement ; mais de ces provocations fines et charmantes qui disent : Aimez-moi, et vous épargnent la moitié du chemin, je n’avais pas encore eu lieu de m’en enorgueillir. Jamais jusqu’alors Galathée, après m’avoir lancé sa pomme, n’avait fui vers les saules en m’invitant à la poursuivre.

Le regard expressif de Mme Baretty était donc une nouveauté en même temps qu’une faveur. Pour la première fois, une femme prenait envers moi une pareille initiative. Tel fut l’étonnement de ma modestie, que j’éprouvai d’abord plus d’embarras que de plaisir. Un sentiment de défiance s’éveilla même dans mon esprit. N’était-il pas possible que j’eusse devant moi une coquette qui, en me prenant pour point de mire, ne cherchait qu’à se divertir à mes dépens ? Je reconnus bientôt l’invraisemblance d’une semblable supposition, et je pensai qu’il y aurait une humilité trop niaise à interpréter défavorablement une action qui n’avait rien que de flatteur, et dont, après tout, la cause n’était pas impénétrable.

— Mariée à un homme indigne d’elle, cette femme, me dis-je, ne peut être que fort malheureuse. Or, les malheureux recherchent la sympathie, et, lorsqu’ils croient l’avoir trouvée, ils l’accueillent avec reconnaissance. De mon côté, je ne suis pas beau, mais peut-être ai-je trop mauvaise opinion de ma figure. Après tout, plus ou moins bien fendus, les yeux sont les interprètes de l’ame. Elle aura lu dans les miens le vif intérêt qu’elle m’inspire ; elle aura deviné qu’il y a en moi une intelligence faite pour la comprendre ; en un mot, elle aura reconnu un ami, et voilà ce qu’a voulu m’exprimer son regard de colombe souffrante.

Instinctivement, je pris l’attitude qui convenait à ce tendre rôle d’ami d’une femme malheureuse, pour lequel je me sentais une vocation toute particulière. Les bras croisés sur la poitrine, le front penché d’un air rêveur, je continuai de regarder Mme Baretty, convaincu déjà que par cette contemplation obstinée je risquais peu de lui déplaire, au cas qu’elle vînt à la remarquer. Si présomptueuse qu’elle pût être, cette conjecture ne tarda pas à me paraître réalisée. Un second regard plus doux, plus appuyé, plus décisif que le premier m’arriva de plein fouet, comme disent les artilleurs. J’en tressaillis, mais mon ravissement fut troublé aussitôt par un aigre bruit de porcelaine brisée qui interrompit fort à l’improviste le silence du salon. Tout le monde tourna les yeux vers M. Baretty. Le capitaine venait de se lever avec l’impétuosité d’un tigre blessé, et la violence