Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 28.djvu/262

Cette page a été validée par deux contributeurs.
258
REVUE DES DEUX MONDES.

modernes aient tout découvert, les jeunes gens s’imaginent volontiers que les modernes ont tout inventé. L’ère de la science date pour eux du jour où ils ont reçu leur diplôme. Ô trop présomptueuse jeunesse ! Galien, dans son beau livre sur la différence des maladies…

— Ah ! docteur, de grâce, passez à Louison, répéta le campagnard dont la patience était moins longue que la soif, et qui se sentait furieux d’avoir offert au docteur Herbeau l’occasion d’un si beau triomphe.

— Galien indique qu’il connaissait cette analyse et qu’il en usait au lit de ses malades, reprit Aristide un peu troublé ; c’est ce qui fait… c’est ce qui fait… répéta-t-il en gourmandant sa mémoire paresseuse

— C’est ce qui fait, s’écria M. Riquemont en se levant, que Louison est malade et que Colette est boiteuse ! En voilà bien assez là-dessus ; papa Herbeau, vous abusez de la science. Monsieur Savenay, allons visiter mes élèves.

Aristide se leva rouge de colère. M. Savenay se leva à son tour, et, se tournant vers le vieux docteur :

— Monsieur, lui dit-il d’un air modeste, je regrette que tant de lumières ne puissent se produire au grand jour et sur un plus vaste théâtre. Lorsqu’on voit la foule des médiocrités se disputer la scène du monde, on ne saurait trop déplorer que tant de nobles intelligences se tiennent dans les coulisses, sans éclat et sans bruit, et disparaissent oubliées de la gloire qu’elles n’ont point sollicitée, pareilles à ces astres qui s’éteignent avant que leur clarté soit venue jusqu’à nous.

— Monsieur ! s’écria Aristide plein d’une confusion charmante ; monsieur, vous me flattez !

— Durant les courts instans que j’ai passés auprès de Mme Riquemont, ajouta M. Savenay, j’ai pu me mettre au courant du traitement que vous avez suivi pour combattre le mal, et j’approuve en tout point ce traitement, comme une application naturelle et directe de vos théories générales.

— À la bonne heure ! s’écria M. Riquemont, voilà qui est noblement terminé ; et si Louison ne guérit pas, ma foi ! messieurs, il n’y aura pas de votre faute.

Les trois convives passèrent dans le salon. Louise était à la même place, toujours plongée dans la rêverie où l’avaient laissée les paroles du jeune docteur. Elle frissonna au bruit des pas de Savenay qu’elle reconnut instinctivement, et ses yeux évitèrent de se tourner vers lui.