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toujours, au lieu d’un sentiment de pure reconnaissance, il caressa un sentiment d’orgueil. Au reste, rien n’était moins exigeant que cet orgueil : un regard, une pression de main suffisaient au bonheur d’Aristide. Il fallait que l’amour l’eût traité jusqu’alors bien frugalement, tant quelques miettes, tombées du cœur de Louise, lui faisaient de somptueux repas !

La tendresse de Mme Riquemont, les paroles même de son mari, bien que férocement brutales, avaient rassuré le docteur sur les chances de la lutte qui allait s’engager ; plein de sécurité, il attendait l’ennemi de pied ferme. L’ennemi ne tarda pas à se présenter. Au bout de quelques instans, le pas d’un cheval se fit entendre dans l’allée du parc, éloigné, mais vif et rapide, et à peine les chiens s’étaient élancés en aboyant, que M. Savenay entra au galop sur la terrasse.

À quelques pas du groupe que formaient Mme Riquemont, son mari et le docteur Herbeau, le cheval se cabra légèrement sous la pression presque imperceptible du mors, puis demeura immobile au temps d’arrêt. C’était un de ces beaux chevaux limousins qui semblent avoir absorbé la meilleure partie de l’esprit du terroir, aux jambes de cerf, au col de cygne, à la tête fine et busquée. Ses naseaux aspiraient l’air avec fierté, ses oreilles se dressaient au vent ; sa robe, bai-doré, étincelant au soleil, ressemblait au manteau d’un roi.

L’étranger mit pied à terre ; c’était un jeune homme, grand, svelte, d’un aspect froid et réservé, d’un costume élégant et simple. M. Riquemont s’était avancé pour le recevoir.

— Pardieu ! monsieur, s’écria-t-il, vous avez là un bel animal ! Combien vous coûte cette bête, monsieur ? Pure race limousine, monsieur ! Je vous l’achète ; cinquante louis, et topez là, ajouta-t-il en tendant la main.

L’étranger regarda M. Riquemont d’un air étonné, puis, apercevant Mme Riquemont, il alla vers elle et la salua avec respect.

— Monsieur Savenay ? dit Louise avec un sourire bienveillant.

— Oui, madame, répondit le jeune homme ; votre air souffrant m’apprend trop bien que c’est à madame Riquemont que j’ai l’honneur de parler.

Et comme il se tournait vers Aristide, le prenant sans doute pour M. Riquemont.

M. Herbeau, dit Louise, mon cher et bon docteur, l’ami que rien ne décourage, le plus charmant de vos confrères, monsieur Savenay, celui dont la science éclairée et le dévouement infatigable ne m’ont jamais abandonnée.