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LE DOCTEUR HERBEAU.

Elle ignorait, la malheureuse, que son infidèle époux eût, avec les intérêts de sa gloire et l’avenir de Célestin, d’autres droits non moins doux à défendre ! Sa noble assurance ranima le cœur d’Aristide. Pareil aux guerriers qui visitent leurs armes la veille de la bataille, il passa la nuit entière à fourbir sa science, à épousseter son cerveau, à feuilleter tous les ouvrages de médecine qui composaient sa bibliothèque. Adélaïde avait tiré de l’armoire une chemise à jabot, une cravate brodée, des manchettes de dentelle, des bas fins et luisans, une perruque toute neuve. À cinq heures du matin, Jeannette étrillait Colette et lavait les harnais. À six heures, Adélaïde parfuma d’eau de Cologne le mouchoir d’Aristide, et noua un ruban neuf à la boutonnière de son habit. C’était l’habit qu’il portait aux jours de cérémonie, un habit bien large, bien étoffé, à la taille longue, aux basques flottantes, coupé dans un petit drap de Châteauroux, qui, vu à la brune, jouait le drap de Louviers d’une façon toute merveilleuse. À six heures et demie, le docteur emprisonna ses jambes dans des bottines à courroies, et, comme sept heures sonnaient à l’église de la ville, il enfourchait bravement Colette. Toute sa personne respirait un mâle courage ; son front était serein et son air vaillant. Il se pencha sur sa selle pour déposer un baiser sur le front d’Adélaïde ; puis, coupant l’air avec sa cravache, il enfonça ses éperons dans les flancs de Colette, qui partit au pas en boitant.

L’enthousiasme du docteur fut court. À peine Aristide eut-il perdu de vue le chapeau chinois de son kiosque et la girouette de sa maison, qu’il sentit ses forces faiblir et son courage chanceler. La cravache, si fanfaronne à l’heure du départ, pendait nonchalamment sur le flanc du destrier ; la bride, tenue mollement par une main paresseuse, flottait sur le cou de Colette, et Colette, pour se conformer aux tristes pensées de son maître, allait d’un pas lent et rêveur, enlevant par-ci par-là des touffes de gazon au sentier et des branches vertes au buissons. Vainement les paysans qui se rendaient à Saint-Léonard, les pâtres qui traversaient le sentier, les jeunes filles filant leur quenouille de chanvre et menant paître les moutons sur la colline, vainement les femmes, les enfans, les vieillards, qui rencontraient le docteur, lui envoyaient le salut accoutumé ; le docteur passait sans se découvrir, sombre, silencieux, le front baissé ; et chacun de se dire : Qu’a donc le docteur Herbeau ?

Vous demandiez, bonnes gens, ce qu’avait le docteur Herbeau, lorsque, par une belle matinée de printemps, vous le vîtes passer, se rendant à Riquemont, brumeux comme une soirée d’hiver ? Quand