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que l’affection présentait d’ailleurs tous les caractères d’une affection chronique, Aristide décida hardiment que Louise avait une gastrite passée à l’état chronique. Le mal était baptisé, mais Louise n’en valait guère mieux, et son état empira sous les soins assidus de la science.

Le docteur allait deux fois par semaine au château de Riquemont. Il s’établit bientôt entre ces trois personnages une intimité dont les détails se lient nécessairement au dénouement de cette histoire.

On comprend facilement qu’entre les mœurs rustiques de M. Riquemont et la molle nature du docteur Herbeau, il n’était guère de sympathies possibles. Le langage fleuri d’Aristide, ses citations latines, sa parole légèrement emphatique, ses manières toutes proprettes, l’insoucieuse ignorance qu’il affectait à l’endroit du pur sang limousin, étaient odieux au campagnard. D’un autre côté, les façons brusques de M. Riquemont, son mépris de toute noble science, ses gestes, ses discours, tout en lui révoltait le docteur ; seulement, l’antipathie de ce dernier ne se révélait que par une réserve pleine de politesse, tandis que celle du châtelain affectait des formes acerbes, railleuses, impitoyables. C’étaient, à chaque instant et à propos de toute chose, des plaisanteries de mauvais goût qui frappaient le bon Aristide dans ce qu’il avait de plus respectable. Colette, par exemple, était le but accoutumé des sarcasmes du campagnard ; il n’épargnait pas davantage la perruque du docteur, ses souliers à boucles d’argent, sa croix d’honneur et son cher poète. Et puis le docteur et le châtelain ne différaient pas moins d’opinions que de caractères. Essentiellement monarchique, Aristide Herbeau soutenait l’autel et le trône ; c’était un esprit nourri des plus saines doctrines de la Gazette et de la Quotidienne. M. Riquemont, au contraire, était une des marionnettes que le libéralisme fit, pendant quinze ans, danser au bout de ses mauvaises phrases. Il croyait aux jésuites et prêchait à ses paysans la haine des missionnaires. Le poisson et les légumes étaient impitoyablement proscrits de sa table le vendredi et le samedi. Il empêchait sa femme d’aller à la messe ; et, s’il rencontrait sur son chemin le curé de Riquemont, il détournait la tête avec affectation, afin de ne le point saluer. Comme tous les libéraux, il conciliait d’ailleurs le culte de l’empire avec celui de la liberté, et coiffait, sans sourciller, Napoléon du bonnet de la république. Il recueillait avec soin dans le département toutes les aventures scandaleuses où les curés et les vicaires se trouvaient plus ou moins impliqués, et il les adressait, revues et corrigées, au Constitutionnel, qui les lui renvoyait considérablement augmentées. En littérature, il ne connais-