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LE DOCTEUR HERBEAU.

réunions du kiosque furent célèbres dans le pays, on en parle encore à Limoges. Il s’y buvait une énorme quantité de bière. La politique en était bannie ; mais les arts, la science et la littérature s’y voyaient traités avec une supériorité qu’on ne rencontre guère que dans les salons de Saint-Léonard. Les poètes du lieu y lisaient de petits vers, et parfois les dixièmes muses d’alentour venaient y montrer le coin de leurs bas azurés. Aristide présidait ces assemblées avec une aménité qui lui gagnait tous les cœurs ; aux grandes solennités, il maniait lui-même le théorbe et la lyre, et l’on comprenait bien, à l’entendre, qu’Apollon, dieu des plantes salutaires, fût aussi le dieu des savantes mélodies.

La maison du docteur était petite, mais l’intérieur en était élégant et habilement disposé. Il est vrai que les cheminées fumaient, qu’il fallait passer par la cuisine pour arriver à la salle à manger, que les tapis en étaient proscrits, le carreau glacé ; qu’on y gelait en hiver, qu’on y grillait en été ; mais c’était d’ailleurs un véritable bijou. Enfin, l’écurie de Colette, bonbonnière où la paille était moins rare que l’avoine, rappelait confusément les écuries du château de Condé aux habitans de Saint-Léonard qui ne connaissaient pas Chantilly. Ajoutez à tout ceci que le docteur Herbeau était adjoint au maire, membre du conseil municipal, chevalier de la Légion-d’Honneur ; que si le présent était riant, l’avenir était plus riant encore ; qu’au bout de quelques années de labeur Aristide pourrait se retirer dans un noble repos, laissant l’exemple de ses vertus et l’exploitation de sa clientèle à son fils, Célestin Herbeau, élève en médecine à la faculté de Montpellier, jeune bachelier qui faisait déjà pressentir, par sa haute capacité, le digne successeur de son père ; et vous conviendrez que la destinée, en infligeant Adélaïde au docteur, avait pris soin d’envelopper cette pilule amère dans le miel le plus doux. Mais rien n’est stable ici-bas : le bonheur de l’homme est bâti sur le sable, un coup de vent suffit à le balayer.

II.

Par une belle soirée d’avril, Aristide Herbeau, monté sur Colette, suivait, tout pensif, le sentier qui mène du château de Riquemont à Saint-Léonard. Il venait de visiter Mme Riquemont, mariée depuis deux ans, et depuis deux ans affligée d’un mal qui déroutait tout l’art du docteur. C’était, à vrai dire, un mal étrange qui n’avait pas de nom,