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dirent auprès du roi et lui annoncèrent que Chlodowig, poussé au désespoir par la grandeur de son crime et l’impossibilité du pardon, s’était tué de sa propre main ; comme preuve du suicide, ils ajoutèrent que l’arme qui avait causé la mort était encore dans la blessure[1]. Hilperik, imperturbable dans sa crédulité, ne conçut aucun doute, ne fit ni enquête ni examen ; regardant son fils comme un coupable qui s’était puni lui-même, il ne le pleura point et ne donna pas même des ordres pour sa sépulture[2]. Cette omission fut mise à profit par la reine, dont l’inimitié ne pouvait s’assouvir ; elle s’empressa de commander qu’on déterrât le corps de sa victime et qu’on le jetât dans la Marne, pour qu’il fût à jamais impossible de l’ensevelir honorablement[3]. Mais ce calcul de barbarie demeura sans effet ; au lieu de se perdre au fond de la rivière ou d’être emportés au loin par le courant, les restes de Chlodowig furent poussés dans un filet tendu par un pêcheur du voisinage. Quand cet homme vint lever ses filets, il retira de l’eau un cadavre, et reconnut le jeune prince à sa longue chevelure qu’on n’avait point songé à lui enlever. Touché de respect et de compassion, il transporta le corps sur la rive et l’inhuma dans une fosse qu’il couvrit de gazon afin de la reconnaître, gardant pour lui seul le secret d’un acte de piété qui pouvait causer sa perte[4].

Frédégonde n’avait plus à craindre qu’un fils de Hilperik né d’une autre femme qu’elle héritât du royaume ; sa sécurité à cet égard était complète, mais ses fureurs n’étaient pas à bout. La mère de Chlodowig, l’épouse qu’elle avait fait répudier, Audovère, vivait encore dans un monastère de la ville du Mans ; cette femme avait à lui demander compte de sa propre infortune et de la mort de deux fils, le premier traqué par elle comme une bête fauve et contraint au suicide[5], le second assassiné. Soit que Frédégonde crût possible qu’au fond de son cloître Audovère nourrît des projets et trouvât des moyens de vengeance, soit que sa haine contre elle n’eût d’autre

  1. Interea advenerunt nuntii ad regem qui dicerent, quod ipse se ictu proprio perfodisset : et adhuc ipsum cultrum de quo se perculit, in loco stare vulneris adfirmabant. (Ibid., lib. V, cap. XL, p. 256.)
  2. Quibus verbis rex Chilpericus inlusus, nec flevit, quem ipse, ut ita dicam, morti tradiderat, instigante regina. (Ibid., p. 257.)
  3. Greg. Turon., Hist. Franc., lib. VIII, cap. x, apud Script. rer. gallic. et francic., t. II, p. 316.
  4. Ibid.
  5. Merowig. Voyez la troisième Lettre dans la Revue du 15 juillet 1834.