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NOUVELLES LETTRES SUR L’HISTOIRE DE FRANCE.

que tu as perdu ce qui te donnait l’espérance de régner[1]. » Cette dénonciation mensongère, frappant la reine comme d’un coup électrique, réveilla en elle toute son énergie et la fit passer de l’abattement à la fureur. Elle fit saisir dans sa maison, garrotter et amener devant elle les deux femmes qui lui étaient désignées. Par son ordre, la concubine de Chlodowig fut battue de verges et on lui coupa les cheveux, signe d’infamie que les coutumes germaniques infligeaient, avant toute punition, à la femme adultère et à la fille débauchée ; puis, on exposa cette malheureuse dans la cour du palais, le corps serré entre les deux moitiés d’un pieu fendu qu’on avait dressé devant le logement du jeune prince pour lui faire honte et peine à la fois[2]. Pendant que la fille subissait ce genre de supplice, la mère fut mise à la question, et, à force de tortures, on tira d’elle un faux aveu des sortiléges qu’on lui imputait[3].

Munie de cette preuve qui semblait péremptoire, Frédégonde alla trouver le roi, lui dit ce qu’elle venait d’apprendre, et demanda vengeance contre Chlodowig. Son récit, adroitement mêlé d’insinuations capables de donner à Hilperik des craintes pour sa propre vie, fit sur lui une telle impression, que, sans rien examiner, sans interroger de nouveau personne, sans même entendre son fils, il résolut de le livrer à la justice de sa marâtre[4]. Devenu pusillanime à force de crédulité, supposant à Chlodowig, outre le crime dont on le chargeait, des pensées d’usurpation et de parricide, il n’osa le faire arrêter dans le palais, au milieu de ses jeunes compagnons, et ce fut par une sorte de guet-apens qu’il voulut s’assurer de sa personne. Ce jour-là, une partie de chasse eut lieu dans la forêt voisine de Chelles ; le roi s’y rendit accompagné seulement de quelques leudes dévoués parmi lesquels figuraient le duc Bob ou Baudeghisel, et le duc Desi-

  1. Post dies vero aliquot adveniens quidam ait reginæ : Ut orbata filiis sedeas, dolus hic Chlodovechi est operatus. Nam ipse concupiscens unius ancillarum tuarum filiam, maleficiis tuos per matrem ejus filios interfecit ; ideoque moneo ne speres de te melius, cum tibi spes per quam regnare debueras sit ablata. (Greg. Turon., Hist. Franc., lib. V, cap. XL ; ibid., t. II, p. 256.)
  2. Tunc regina timore perterrita et furore succensa, nova orbitate compuncta, adprehensa puella in quam oculos injecerat Chlodovechus, et graviter verberata incidi comam capitis ejus jussit : ac scissæ sudi impositam defigi ante metatum Chlodovechi præcepit. (Ibid.)
  3. Matre quoque puellæ religata et tormentis diù cruciata elicuit ab ea professionem quæ hos sermones veros esse firmaret. (Ibid.)
  4. Regi exinde hæc et alia hujuscemodi insinuans, vindictam de Chlodovecho poposcit. (Ibid.)