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certain, et il le rappela près de lui[1]. Chlodowig revint sain et sauf de sa périlleuse mission ; plein de lui-même et de la bonne fortune qu’il avait de survivre à ses jeunes frères, il irrita comme à plaisir les regrets et la haine de Frédégonde. Il étalait devant elle des airs de fierté méprisante, et il tenait à tout venant des propos tels que ceux-ci[2] : « Voilà mes frères morts, le royaume reste à moi seul ; toute la Gaule me sera soumise, le sort m’a réservé l’empire universel. — Voilà que mes ennemis sont sous ma main, je les traiterai comme il me plaira[3]. » Souvent il lui arrivait de joindre des invectives contre la reine à ces forfanteries puériles où sa vanité se gonflait de l’orgueil inspiré aux Neustriens par leurs conquêtes récentes, et par l’espoir qu’ils fondaient sur elles de rétablir à leur profit l’unité de la domination franke[4].

Frédégonde était informée des moindres discours de son beau-fils, et, dans l’état de préoccupation extrême où elle se trouvait, ces vaines paroles lui causaient des mouvemens de frayeur. D’abord on lui fit des rapports exacts, ensuite le faux se mêla au vrai ; enfin, il y eut de pures fables inventées par émulation de zèle[5]. Un jour, quelqu’un vint lui dire : « Si tu restes privée de fils, c’est par l’effet des trames de Chlodowig. Il a commerce avec la fille d’une de tes servantes, et il s’est servi de la mère pour faire mourir tes enfans par des maléfices. Je t’en avertis, n’attends pas mieux pour toi maintenant

  1. Ipse enim rex Calam parisiacæ civitatis villam advenit. Post paucos vero dies Chlodovechum ad se venire præcepit. (Ibid.) — Chelles est dans le département de Seine-et-Marne, à six lieues est de Paris.
  2. Igitur cùm in supradicta villa apud patrem habitaret, cœpit immature jactare… (Greg. Turon., Hist. Franc., lib. V, cap. XL, apud Script. rer. gallic. et francic., t. II, p. 256.)
  3. « Ecce mortuis fratribus meis, ad me restitit omne regnum ; mihi universæ Galliæ subjicientur, imperiumque universum mihi fata largita sunt. Ecce inimicis in manu positis inferam quæcumgne placuerit. » (Ibid.)
  4. Sed et de noverca sua Fredegunde regina non condecibilia detrectabat. (Ibid.) — L’agrandissement de la Neustrie se poursuivait, depuis l’année 577, par l’occupation successive de toutes les villes d’Aquitaine, appartenant soit à l’Austrasie, soit au royaume de Gonthramn ; cette invasion fut complète en l’année 582. Voyez troisième et sixième Lettres. (Revue des Deux Mondes du 15 juillet 1834 et du 1er décembre 1836.)
  5. Quæ illa audiens, pavore nimio terrebatur. (Greg. Turon., Hist. Franc., lib. V, cap. XL, apud Script. rer. gallic. et francic., t. II, p. 256.) — Non defuere tamen qui delatoria contra eum usi arte, non solum quæ ipse injuriose loquebatur de regina verum et aliqua ad ipsam referrent mendacia. (Aimoini monachi floriac., de Gest. Franc. ; ibid., t. III, p. 87.)