Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 28.djvu/215

Cette page a été validée par deux contributeurs.
211
NOUVELLES LETTRES SUR L’HISTOIRE DE FRANCE.

changement que la mort de ses deux fils allait amener dans sa situation comme reine, et des craintes qu’elle en concevait pour l’avenir. Il ne restait plus qu’un seul héritier du royaume de Neustrie, et c’était Chlodowig, le fils d’une autre femme, de l’épouse qu’elle avait supplantée autrefois, l’homme qu’un complot récent venait de lui signaler comme l’objet des espérances et des intrigues de ses ennemis[1]. La perspective du veuvage, malheur qu’elle devait craindre chaque jour, la frappait d’épouvante ; elle se voyait, dans ses appréhensions, dégradée de son rang, privée d’honneurs, de pouvoir, de richesses, soumise, par représailles, ou à des traitemens cruels ou à des humiliations pires que la mort.

Ce nouveau tourment d’ame ne la conduisit pas au même genre de pensées que le premier. Un moment élevée au-dessus d’elle-même par ce que l’instinct maternel porte en soi d’inspirations nobles et tendres, elle était retombée dans sa propre nature, l’égoïsme sans frein, l’astuce et la cruauté. Elle se mit à chercher les moyens de tendre à Chlodowig un piége où il perdit la vie, et ce fut sur le fléau qui venait de lui enlever son fils qu’elle compta, dans cette machination, pour faire périr son ennemi. Le jeune prince, absent de Braine, avait échappé à l’épidémie ; elle résolut de suggérer à son père, à l’aide d’un faux prétexte, l’idée de l’envoyer dans ce lieu où la contagion se montrait de plus en plus meurtrière. La raison qu’elle imagina pour persuader son mari fut sans doute l’intérêt de savoir par le témoignage d’une personne sûre, d’un membre de la famille, ce qui se passait dans cette maison royale subitement abandonnée de ses maîtres et exposée ainsi aux larcins et aux dilapidations de tout genre. Ne soupçonnant rien des motifs secrets de cet avis, Hilperik le trouva bon à suivre ; il donna, par un message, à Chlodowig, l’ordre de se rendre à Braine, et le jeune homme obéit avec cette soumission filiale qui était dans les mœurs germaniques[2].

Soit pour inspecter par lui-même ses récoltes de l’année, soit pour varier ses distractions, le roi passa bientôt de la forêt de Cuise au domaine de Chelles, sur la Marne. Là, il se prit à songer à son fils qui était à Braine, exposé, pour lui complaire, à un danger presque

  1. Le complot de Leudaste et du prêtre Rikulf. Voyez la cinquième Lettre, dans la Revue du 1er mai 1836. — Chlodowig était alors âgé d’environ vingt-cinq ans.
  2. Tunc Chlodevechum filium suum Brennacum, faciente regina, transmisit, ut scilicet et ipse ab hoc interitu deperiret. Graviter ibi his diebus morbus ille qui fratres interfecerat sæviebat. (Greg. Turon., Hist. Franc., lib. V, cap. XL, apud Script. rer. gallic. et francic., t. II, p. 256.)