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suivant une des pratiques superstitieuses du siècle, ils l’exposèrent, couché dans son lit près de la tombe du saint, et firent un vœu solennel pour le rétablissement de sa santé. Mais le malade, épuisé par la fatigue d’un trajet de plusieurs lieues, entra en agonie le jour même, et il expira vers minuit[1]. Cette mort émut vivement toute la population de la ville ; à l’impression de sympathie que cause d’ordinaire la fin prématurée des personnes royales, se joignait, pour les habitans de Soissons, un retour personnel sur eux-mêmes. Presque tous avaient à pleurer quelque perte récente. Ils se portèrent en foule aux funérailles du jeune prince, et le suivirent processionnellement jusqu’au lieu de sa sépulture, la basilique des martyrs saint Crépin et saint Crépinien. Les hommes versaient des larmes, et les femmes, vêtues de noir, donnaient les mêmes signes de douleur qu’aux obsèques d’un père ou d’un époux ; il leur semblait, en accompagnant ce convoi, mener le deuil de toutes les familles[2].

En témoignage de ses regrets paternels, Hilperik fit de grands dons aux églises et aux pauvres. Il ne retourna pas à Braine, dont le séjour lui était devenu odieux, et où l’épidémie continuait ses ravages ; parti de Soissons avec Frédégonde, il alla s’établir avec elle dans l’une des maisons royales qui bordaient la vaste forêt de Cuise, à peu de distance de Compiègne. On était alors au mois d’octobre, à l’époque de la chasse d’automne, espèce de solennité nationale au plaisir de laquelle tout homme de race franke se livrait avec une passion capable de lui faire oublier les plus grands chagrins[3]. Le mouvement, le bruit, l’attrait d’un exercice violent et quelquefois périlleux, calmaient la tristesse du roi et le rendaient par intervalles à son humeur habituelle mais, pour la douleur de Frédégonde, il n’y avait ni distraction ni trêve. Ses souffrances comme mère s’aggravaient du

  1. Chlodobertum verò componentes in feretro, Suessiones ad basilicam sancti Medardi duxerunt, projicientesque eum ad sanctum sepulcrum, voverunt vota pro eo ; sed media nocte, anhelus jam et tenuis, spiritum exhalavit. (Greg. Turon., Hist. Franc., lib. V, cap. XXXV ; apud Script. rer. gallic. et francic., t. II, p. 253.) Médard, évêque de Noyon, mort en 560, avait été enterré à Soissons, par ordre du roi Chlother.
  2. Magnus quoque hic planctus omni populo fuit ; nam viri lugentes, mulieresque lugubribus vestimentis indutæ, ut solet in conjugum exsequiis fieri, ita hoc funus sunt prosecutæ. (Greg. Turon., Hist. Franc., lib. V, cap. XXXV ; apud Script. rer. gallic. et francic., t. II, p. 253.)
  3. Igitur post mortem filiorum Chilperici, rex mense octobri in Cotia silva plenus luctu cum conjuge residebat. (Ibid., cap. XL, p. 256 ;) — Hadriani Valesii Rer. francic., lib. X, t. II, p. 108.