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NOUVELLES LETTRES SUR L’HISTOIRE DE FRANCE.

mêle avec le peuple, les uns mornes, ne sachant que résoudre, les autres se livrant à toute l’effervescence des passions politiques. Parmi ces derniers figurèrent, à ce qu’il semble, des prêtres et des chefs d’abbaye. Indécis un moment et comme étonné d’avoir laissé sortir sain et sauf l’homme dont il voulait se venger, le peuple tourna sa colère contre les livres de cadastre que Marcus avait abandonnés dans sa fuite. Les plus furieux s’en saisirent pour les lacérer, mais un autre avis prévalut, celui de transporter ces registres sur la place publique, et de les y brûler avec un appareil qui signalerait la victoire des citoyens de Limoges et leur résolution de ne point souffrir la levée des nouveaux tributs. On courut fouiller la maison qu’avait occupée le référendaire, et l’on prit tout ce qui s’y trouva de rôles et de volumes destinés à différentes villes. Un bûcher fut dressé aux cris de joie de la multitude enivrée de sa rébellion. Parmi elle, des citoyens de haut rang s’agitaient comme elle, et applaudissaient, en voyant la flamme détruire les livres apportés par l’officier du roi[1]. Bientôt il n’en resta plus que des cendres ; mais ces livres étaient des copies dont les originaux reposaient en sûreté dans les coffres du trésor royal ; l’espèce de délivrance que la cité de Limoges se flattait d’avoir conquise ne pouvait pas être de longue durée. Elle dura peu en effet, et ses suites furent déplorables.

De la première ville où il crut pouvoir s’arrêter, Marcus expédia un message au roi Hilperik pour l’informer des graves évènemens qui venaient d’avoir lieu à Limoges. La sédition, avec menaces de mort contre un officier du prince et destruction de registres publics, était l’un des crimes pour lesquels, sous l’empire romain, l’empereur, quel que fût son caractère, n’avait ni pardon ni clémence. Aux traditions impériales se joignirent, dans ce cas, pour déterminer la conduite du roi de Neustrie, l’esprit de colère et de vengeance personnelle de la souveraineté barbare et l’instinct d’avarice excité par une telle occasion de gagner largement des confiscations et des amendes. Ces divers mobiles concoururent, selon toute apparence, à la décision énergique prise aussitôt par le roi. Il fit partir de son palais, en mission extraordinaire, des officiers chargés de se rendre à Limoges,

  1. Arreptis quoque libris descriptionum incendio multitudo conjuncta concremavit. (Greg. Turon., Hist. Franc., lib. V, cap. XXIX, apud Script. rer. gallic. et francic., t. II, p. 251.) — Et omnes poleptici incendiis sunt concremati. (Greg. Turon., Hist. Franc. epitomata, ibid., p. 409.) — Et tomi universi quos secum ferebat igne cremati sunt. (Aimoini monachi floriac., de Gest. Franc., lib. III, cap. XXXI ; ibid., t. III, p. 81.)