Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 28.djvu/19

Cette page a été validée par deux contributeurs.
15
LE PARATONNERRE.

dirent que par une grimace qu’il était difficile de prendre pour un assentiment.

— Ce n’est pas parce que nous sommes presque beaux-frères, poursuivit en goguenardant M. Richomme, mais je doute qu’on puisse trouver un homme plus aimable. Il est vrai que les mauvaises langues l’accusent d’être difficile à vivre, hargneux, emporté, grognon, colère, et surtout jaloux comme un crocodile ; mais ce sont là des calomnies, n’est-ce pas, Césarine ?

Mme Richomme avait écouté son mari avec une impatience marquée ; elle haussa imperceptiblement les épaules, et répondit d’un ton bref :

— Chacun a ses défauts ; ceux de M. Baretty n’ôtent rien à la bonté de son cœur ni à la noblesse de son caractère.

— Je te dis que l’oiseau est charmant ; seulement il a bec et ongles, et il est bon d’en avertir ces messieurs. Je ne parle pas pour vous, messieurs du grand-conseil : vous êtes des hommes raisonnables, pères de famille, et d’ailleurs vous savez de quoi il retourne ; mais voici deux fashionables qui ne doutent de rien, en qualité de Français, et à qui une petite leçon de prudence ne sera peut-être pas inutile.

Je lançai un coup d’œil à Maléchard, que ces dernières paroles concernaient autant que moi. Il pelait méthodiquement une pomme et semblait inattentif. De son côté, Mme Richomme, visiblement contrariée, essayait d’un regard improbateur d’imposer silence à son mari.

— Ma chère amie, tu as beau me faire de gros yeux, reprit le millionnaire d’une façon assez triviale, je n’ai pas envie de voir se renouveler chez moi la sotte aventure de Barèges.

— Quelle aventure ? Dis-je, au risque de déplaire davantage à la maîtresse du logis.

— Vous n’en avez pas entendu parler ? l’histoire pourtant a fait assez de bruit. L’an passé, Baretty, qui souffre quelquefois d’une ancienne blessure, va à Barèges et y conduit sa femme. Ma belle-sœur, aimable et jolie, se trouve dès son arrivée entourée d’une cour nombreuse ; c’est à qui aura le plaisir d’être son danseur ou de chanter avec elle. Vous saurez qu’elle danse et chante comme un ange. Rien que de fort simple assurément, et sur cent maris quatre-vingt-dix-neuf n’auraient pas songé à se formaliser ; mais le cher Baretty a du sang corse dans les veines. Le voilà donc furieux, et ne rêvant plus que carnage. Massacrer en bloc la douzaine d’étourneaux qui vol-