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LE CONSEIL D’ÉTAT.

mais on pourrait mieux distribuer le service, et simplifier notamment l’examen des affaires contentieuses. Ces améliorations s’effectueraient pour ainsi dire d’elles-mêmes, le jour où le conseil d’état, habituellement appliqué à des discussions législatives, reconnaîtrait la nécessité d’apporter plus d’ordre et de rapidité dans l’expédition des travaux d’une importance secondaire.

Ce n’est donc ni l’insuffisance du personnel, ni le règlement du conseil d’état qui empêchent que les projets de loi lui soient soumis. Mais le gouvernement se sent plus maître dans une commission composée arbitrairement, et dont la formation permet d’ailleurs de flatter certaines vanités parlementaires. Une autre cause agit encore plus puissamment. C’est au moment de la clôture des sessions que devraient commencer les travaux du conseil d’état ; il faudrait que les projets ou les documens nécessaires à leur rédaction lui fussent immédiatement transmis et qu’il employât à leur examen tout le temps qui doit s’écouler jusqu’au retour des chambres. Malheureusement alors les ministres, accablés par les fatigues de la politique et de l’administration, courbés sous le poids des soins de toute espèce que leur impose la vicieuse organisation du pouvoir ministériel en France, s’abandonnent le plus souvent à une invincible langueur. Ils saisissent avidement le peu de loisir que leur rend l’éloignement du parlement, ne se livrent qu’aux affaires indispensables et ajournent le travail de la session suivante. Ils ont plusieurs mois devant eux, et plusieurs mois n’est-ce pas une éternité pour des ministres ? Savent-ils d’ailleurs si le pouvoir ne sera pas sorti de leurs mains quand pourraient être employées les études préparatoires qu’on leur demande ? Cependant les chambres sont rappelées, le temps presse, on est obligé d’en finir promptement, et l’on ne peut plus attendre un rapport, une discussion préalable et les délais inséparables de l’intervention d’un grand corps qui veut se prononcer en connaissance de cause, et qui ne croit pas que la précipitation soit un bon législateur.

On supprime donc le recours au conseil d’état, et pour y suppléer on nomme des commissions. C’est l’expédient habituel. M. Cuvier disait, peu de temps avant sa mort, que nous vivions sous le régime de la commissionocratie. On réunit à la hâte quelques personnes, spéciales si l’on peut. On ouvre une sorte de discussion pendant deux ou trois soirées, après dîner, à l’heure où presque tous les hommes occupés ont besoin de repos et sont impropres au travail. Le projet est examiné tant bien que mal, à la hâte, sous l’influence souvent exclusive du ministre qui préside et qui aime qu’on se dépêche, et