Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 28.djvu/185

Cette page a été validée par deux contributeurs.
181
LE CONSEIL D’ÉTAT.

circonstance n’a pourtant pas agi seule. La politique, des ménagemens pour les personnes, des combinaisons intérieures d’administration, ont amené quelques nominations qui, bien qu’elles portassent sur des hommes honorables et instruits, n’étaient pas à la hauteur de la vieille réputation du conseil d’état, et ont permis de croire que des fonctions conférées sans plus de façon n’étaient ni prisées très haut par le ministère ni très difficiles à remplir.

Mais c’est surtout dans la partie du service qui n’est point rétribuée et ne participe qu’exceptionnellement aux délibérations, dans le service extraordinaire, que l’abus a été porté au comble. Aucun traitement n’étant accordé, le budget n’élevait point de barrière. On a fait du service extraordinaire du conseil d’état ce qu’on faisait de la Légion-d’Honneur ; les titres ont été prodigués sans compte ni mesure : ils ont servi de récompense aux services les plus étrangers à l’administration, de consolation à des disgraces qui n’étaient pas toutes imméritées ; ils sont devenus une monnaie de gouvernement. À aucune époque, même sous l’empire, aux jours de puissance du conseil d’état, autant de personnes n’avaient pu se flatter de l’honneur de lui appartenir. En 1839, un garde-des-sceaux reconnaissait à la tribune de la chambre des députés que les membres du service extraordinaire formaient le nombre énorme et incroyable de trois cent trente-trois. On a ainsi déconsidéré le corps entier : on n’a pas vu que, pour satisfaire pendant un jour quelques amours-propres, que pour aplanir quelques difficultés passagères, on portait une atteinte grave à toute une institution.


Les lois les plus importantes, celles sur lesquelles le conseil d’état aurait été le plus compétent, ont été présentées aux chambres sans avoir passé à son examen. Croirait-on, par exemple, que son avis n’a jamais été pris sur les projets qui réglaient le régime des communes et des départemens ? Sans doute, il est des lois qui, par leur nature, doivent lui demeurer étrangères ; de ce nombre sont les lois de finances et celles qui se lient à la politique ; mais, pour les autres, son examen ne serait jamais stérile. Or, depuis dix ans, quand un si grand nombre ont été présentées et votées, les documens officiels constatent qu’il en a discuté une en 1832, trois en 1834, deux en 1836, et une en 1838 : encore ne sont-ce pas les plus importantes, et plusieurs des projets sur lesquels il a délibéré n’ont-ils pas eu de suite.

Pour justifier l’éloignement dans lequel on l’a tenu, on ne peut