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LE CONSEIL D’ÉTAT.

nera de la consistance et de l’autorité à l’administration, de l’assurance et du courage, si j’ose le dire, à ses délégués de tous les rangs. Toujours maîtres de leurs résolutions, les ministres conserveront la liberté, sans laquelle ils ne pourraient demeurer responsables, mais ils s’estimeront heureux de pouvoir se rendre le plus souvent aux suggestions consciencieuses d’un corps qui, n’ayant d’autre autorité que celle de la raison, ne peut être tenté d’abuser de sa situation, et, forts de son opinion, ils combattront les résistances et n’auront jamais à désavouer leurs actes.


Ce conseil, c’est le conseil d’état ; tel est son caractère, telle est sa destination sous le gouvernement constitutionnel. Il diffère, comme je l’ai dit, du conseil d’état de l’ancien régime, de celui de l’empire, mais sa mission n’est ni moins grande, ni moins utile.

Étranger à toute attribution judiciaire, il n’a point à détourner son attention des affaires générales. Il n’est saisi d’aucun débat que la chose publique ne s’y trouve plus ou moins engagée. Il ne la perd jamais de vue, il étudie incessamment ses besoins, et contracte dans cette exclusive préoccupation l’habitude de résister à toute influence purement privée.

Étranger à la politique, il conserve une impartialité qui fait sa force. Il ne sacrifie pas à des considérations de parti les intérêts permanens de l’administration ; sous une forme de gouvernement qui surexcite certaines exigences, il n’en tient aucun compte. Ses délibérations ne s’écartent jamais de leur but ostensible et avoué. Dans les assemblées où se disputent les situations ministérielles, les hommes sont plus considérés que les choses : soutenir ou ébranler le ministère est l’intérêt, souvent dissimulé, mais toujours prédominant, auquel se subordonnent toutes les résolutions secondaires. Autres sont les procédés du conseil d’état. Les questions de cabinet ne s’agitent point dans son enceinte : tout argument pris dans les convenances de la politique ministérielle y serait sans portée. On ne saurait dire combien ses décisions y gagnent en sûreté et en droiture. Les ministres qui le connaissent savent qu’on ne peut le surprendre avec certains argumens qui font fortune ailleurs. Un d’eux, fort habile à la tribune, fort expert à entraîner une assemblée politique, s’opposait, il y a quelques années, dans une commission, à ce qu’une question fût renvoyée par la chambre des députés au conseil d’état, s’écriant : Ne me livrez pas au conseil d’état, j’aimerais mieux avoir affaire deux fois à la chambre.