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écrit le poème de l’alliance en traits de sang, depuis les pyramides jusqu’aux frontières de cet autre Orient qui commence au Kremlin. Le connaissez-vous, ce poète qui étouffait en Europe ? Il s’appelait Napoléon. Il a fait passer plus qu’aucun autre dans le cœur de la France l’esprit et l’ame de l’Asie. Ses poèmes écrits sont ses proclamations. Il a changé non-seulement l’esprit et les institutions, mais aussi la langue de ce pays. Lorsqu’il disait : « Vous êtes descendus des Alpes comme un torrent, » ou encore : « Je suis le dieu des armées, » était-ce la langue diplomatique du siècle de Louis XIV ? N’était-ce pas plutôt la parole d’un Mahomet occidental ? Et comment s’en étonner, puisque son éducation s’est faite à Aboukir, au Kaire, au Mont-Thabor ?

D’autre part, l’Angleterre concourait à cette même renaissance orientale. Aux travaux purement scientifiques des William Jones, des Wilkins, de Colebrooke, répondaient, dans un esprit semblable, les œuvres d’art et d’imagination ; chaque écrivain débutait par un poème asiatique. Dans les poètes de l’école des lacs, dans le panthéiste Schelley, dont les drames semblent calqués sur les drames indiens, il serait si facile de trouver l’influence orientale, qu’il suffirait, pour la montrer, de rappeler le titre et le sujet de la plupart de leurs œuvres ; mais, sans entrer en trop de détails superflus, je m’arrête au poète qui les résume tous. Dès 1809, lord Byron avait projeté une excursion en Perse. Ce voyage fut changé contre un séjour de près de deux ans en Morée et à Constantinople. Voilà un nouveau lien d’or et de diamant qui va unir l’Europe et l’Asie. Combien de fois le poète ne rappelle-t-il pas qu’il a lui-même touché de ses mains, foulé de ses pieds, cette terre où croissent l’olivier et le cyprès, où les femmes sont plus douces que les roses, où la rose est la sultane du rossignol, où tout est divin, excepté la pensée de l’homme ! Le voyage de Childe-Harold, ce pèlerinage de désespoir, qui commence et finit dans les mers et sur les rivages du Levant, montre assez où est la patrie adoptive de son imagination. Il visite la nature immobile, les horizons harmonieux de l’Orient, nobles sépulcres du passé, où tout est redevenu silence, repos, douceur, enchantement. Et d’où vient la beauté de ce poème, qui, dès les premiers mots, a ravi le monde, si ce n’est du contraste de cette paix, de ce repos de la nature orientale, et des pensées troublées, des tortures morales qu’un homme de l’Occident, sorti du milieu de nous, vient y apporter ? Athènes, Troie, Corinthe, dormaient sous les roses et les oliviers. Soudain elles retentissent d’un cri aigu, d’une plainte lamentable.