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DE LA RENAISSANCE ORIENTALE.

dans les mers de Camoëns, il ramène deux personnages nés sous ce ciel étranger, Paul et Virginie. Tout vous dit d’abord qu’ils ont, dès leur première heure, respiré un autre air, vu d’autres étoiles que nous. Leurs douces pensées, plus savoureuses que le fruit du dattier, ne se sont pas épanouies au milieu de nos villes. Ils ont reçu leur éducation loin des passions, des souvenirs de notre continent. Leur langue même, d’une suavité inconnue, est semblable à la langue des fleurs dans une île nouvellement émergée au fond des mers inviolées. Rappelez-vous, dans leurs dialogues, cette morale qui semble naître du spectacle des objets qu’ils ont chaque jour sous les yeux, et éclore avec les fleurs qu’ils ont semées. Ils ont appris à épeler, non dans les livres de notre Occident, mais dans celui dont les pages sont les montagnes non encore parcourues, les cieux non encore explorés, les étoiles non encore interrogées, les forêts vierges qui se mirent dans une mer vierge. On pourrait comparer Virginie, à quelques figures de la poésie sacrée des Hindous, Sacontala, Damajanti, et l’on serait étonné de voir comment le même sol, les mêmes harmonies, ont produit les mêmes êtres poétiques dans l’esprit des Orientaux et dans celui d’un homme de l’Occident. Virginie est, dans le vrai, de la même famille que les jeunes filles et les Apsaras des poèmes indiens. Même douceur, mêmes instincts, même piété pour les plantes, même tendresse pour toute la nature vivante, seulement tout cela rendu plus touchant par le christianisme. Et s’il fallait parler des Études de la Nature, qui ne sent qu’elles ont été faites dans le voisinage des Grandes-Indes ? Ne retrouve-t-on pas la douceur d’un créole dans cet amour pour les fleurs, pour les eaux, pour les plus petits insectes ? Si l’Indien épargne, dans sa mansuétude universelle, les rameaux des forêts et jusqu’à la rosée des nuits, Bernardin de Saint-Pierre ne fait-il pas éprouver un sentiment tout semblable, recueilli, il semble, à la même source ? Et de tout cela ne résulte-t-il pas l’impression d’un brahmane chrétien ?

Je n’ai encore rien dit du poète souverain, qui a, mieux que tous les autres, cimenté l’union de l’Europe et de l’Asie. Il fut un des admirateurs les plus naïfs de Bernardin de Saint-Pierre, qu’il venait complimenter sur Paul et Virginie, au retour des batailles. Il a marqué l’alliance de l’Occident et de l’Orient, non-seulement par la parole, mais par les faits, par la grandeur des projets, par la vie politique et militaire. N’avait-il pas tracé dans son esprit la route de la France depuis le Nil jusqu’au Gange, à travers la Perse ? Le nouvel Alexandre ne voulait-il pas recommencer le travail de l’ancien ? Il a