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DE LA RENAISSANCE ORIENTALE.

se balancent autour du navire, et c’est pourquoi le poème de Camoëns est véritablement le poème de l’alliance de l’Occident et de l’Orient. Vous respirez tout ensemble les souvenirs de l’Europe et les tièdes senteurs de l’Asie dans ce génie qui est l’accord de la renaissance grecque et de la renaissance orientale. En même temps que vous entendez encore le murmure des rivages européens, l’écho du monde grec, romain, chrétien, vous entendez aussi retentir à l’extrémité opposée ce grand cri : Terre ! qui fit tressaillir le XVe siècle au moment des découvertes des Indes et des Amériques ; vous sentez à chaque vers que le vaisseau de l’humanité aborde des rivages depuis long-temps attendus ; vous aspirez des brises nouvelles, qui enflent la voile de la pensée humaine ; et les cieux des tropiques se mirent dans le flot le plus pur du Tage. Si les dieux de l’ancienne civilisation, transportés sous un autre ciel, semblent s’y réparer, s’y rajeunir, d’autre part, que de formes, que de créations inspirées immédiatement par cette nature renouvelée dans la solitude ! Le fleuve du Gange, depuis si long-temps perdu, est personnifié comme dans l’épopée indienne du Ramayana. Le Titan grec, qui veut fermer le passage au vaisseau de Gama qui porte l’avenir, sort tout ruisselant des mers équinoxiales, agrandi de toute la différence de la mer des Indes à la mer des Cyclades. Il n’est pas jusqu’à cette langue portugaise, si guerrière et si molle, si retentissante et si naïve, si riche en voyelles éclatantes, qui ne paraisse un interprète, un truchement naturel entre le génie de l’Occident et le génie de l’Asie orientale. Mais ce qui fait le lien de tout cela, est-il besoin de le dire ? C’est le cœur du poète ; c’est ce cœur magnanime qui embrasse les deux mondes et les unit dans une même étreinte de poésie, dans une même humanité, un même christianisme. Vous retrouvez partout une ame aussi profonde que l’Océan, et, comme l’Océan, elle unit les deux rivages opposés.

Je ne puis me décider si tôt à quitter Camoëns ; et pourquoi ne laisserais-je pas paraître ma piété pour ce grand homme ? Tout me plaît de lui, sa vie d’abord, sa poésie, son caractère, son grand cœur. Seulement je m’étonne que son nom n’ait pas été plus souvent prononcé de nos jours ; car je ne connais aucun poète qui réponde mieux, qui s’associe mieux à une grande partie des idées et des sentimens répandus dans ce siècle, puisque cette épopée sans batailles, sans siéges, toute pacifique (chose presque inouïe), n’offre que l’éternel combat de l’homme et de la nature, c’est-à-dire la lutte dont les écrivains de notre temps nous ont si souvent entretenus. Il