Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 28.djvu/122

Cette page a été validée par deux contributeurs.
118
REVUE DES DEUX MONDES.

clore le moyen-âge, a donné au monde une forme, une parole nouvelle, si elle a éclaté en même temps que la réformation religieuse, ne voyons-nous pas de nos jours la renaissance orientale correspondre déjà à une réformation nouvelle du monde religieux et civil ? Tant il est vrai que le passé, en se creusant, a toujours fertilisé l’avenir, et que le premier n’a cessé d’être la prophétie que le second vient d’accomplir.


Le génie de l’industrie, les découvertes, les voyages, n’ont pas seuls préparé le rétablissement de la tradition de la haute Asie. L’imagination, en même temps que la science, se tournait peu à peu de ce côté. Elle visitait, sur les vaisseaux marchands, les rivages nouvellement retrouvés ; elle les rattachait à ceux de l’Occident par d’impalpables anneaux. Les brises de l’Europe, celles de l’Asie unissaient leurs parfums dans de rapides hyménées. De ces épousailles des vents allaient naître, sur la surface d’un océan inviolé, des formes, des images, des fantômes nouveaux, qui devaient flotter bientôt dans le ciel agrandi des poètes. Même sous une apparence sceptique, la poésie des modernes redevenait religieuse, en consacrant le lien de deux mondes rendus l’un à l’autre ; et les marques d’une renaissance orientale éclataient à l’origine même de la renaissance grecque et romaine.

En effet, les Portugais, qui, par la découverte du cap de Bonne-Espérance, ont rendu l’Asie à l’Europe, sont aussi les premiers qui aient couronné par l’imagination l’alliance que l’industrie venait de renouveler. Ce peuple ne paraît qu’un moment dans l’histoire, et c’est pour accomplir ce miracle. L’œuvre achevée, il retombe dans le silence. Comme il n’a eu qu’un moment de splendeur, il n’a aussi qu’un poète, un livre. Mais ce poète est Camoëns, qui rouvre à l’imagination les portes de l’Orient ; ce livre est celui des Lusiades, qui rassemble, avec tous les parfums du Portugal, l’or, la myrrhe, l’encens du Levant, trempés souvent des larmes de l’Occident. Pour la première fois, le génie poétique de l’Europe quitte le bassin de la Méditerranée ; il rentre dans les océans de l’ancienne Asie. Sans doute, les souvenirs de la Grèce et du monde chrétien accompagnent le poète aventureux au milieu des flots qu’aucune rame n’avait encore effleurés. On peut même dire que, sous ces cieux brûlans, on retrouve dans ses stances brûlantes une angoisse qui ressemble au mal du pays. Les images, les regrets, les espérances, les fantômes divinisés, les Syrènes de l’Occident surgissent du fond des eaux. Ils