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au sein de l’imitation. Alexandre seul ébranla cette illusion. Poussé par l’amour de l’inconnu, il arriva aux bords de l’Indus. Un instinct divin le ramenait au berceau de la race dont il était le premier représentant. Il touchait le mystère des origines de la civilisation grecque. Il put montrer aux hellènes, dans les monts sacrés de l’Inde, la mine d’où étaient sortis leurs dieux. Ce fut la fin de l’esprit grec, qui s’évanouit en même temps qu’il perdit son erreur. En brisant ses limites, il cessa d’être. Cependant la pensée de la haute Asie s’insinua dans les écoles d’Europe. L’Inde fut rapprochée d’Alexandrie. La tradition universelle se retrouva pour un moment, et le christianisme scella, en naissant, la seconde alliance de l’Orient et de l’Occident.

Pendant toute la durée du moyen-âge, ce lien est de nouveau rompu, comme s’il n’avait jamais existé. Loin de se rechercher, de s’attirer l’un l’autre, le génie de l’Europe au moyen-âge et celui de la haute Asie se repoussaient mutuellement. Qu’avait de commun l’ascétisme du premier avec les splendeurs de la nature équinoxiale ? Le culte de la passion, enseveli parmi les brumes du Nord, dans le linceul des cathédrales, appelait-il le soleil du golfe de Bengale ? Et qu’avait besoin du trésor des Indes le Christ gémissant, flagellé, crucifié du XIIe siècle ? Aussi les croisades, dans leur espoir de conquêtes, ne prétendaient qu’au Golgotha. Un tombeau près du désert de Syrie, le triste jardin des Oliviers, encore trempé de la sueur de la passion, l’absinthe desséchée du Calvaire, une terre nue pour un Dieu nu, voilà ce que l’Europe convoitait de l’Asie ; tandis que le haut Orient, avec sa nature prodigue dans tous les règnes, devait rester fermé à l’esprit mystique de ces générations comme la terre des enchantemens condamnés et du démon des voluptés.

Il est certain, en effet, qu’aussi long-temps que le dogme de la spiritualité a régné sans partage, la communication avec la haute Asie est restée interrompue. Inutilement, le vénitien Marc-Pol retrouve le continent perdu des Indes, deux siècles avant que le Génois découvre l’Amérique. Ce chemin rouvert est bientôt oublié. Les rivages de l’Orient et de l’Occident se repoussent encore. Les relations entre eux ne se rétablissent véritablement que lorsque l’industrie, au XVe siècle, relève les sens et la nature de la condamnation portée contre eux par les temps précédens ; et le moyen-âge finit le jour où l’Orient, avec toutes les pompes de la vie extérieure, est rendu à l’Occident par la découverte du cap de Bonne-Espérance. En ce moment l’ascétisme achève de disparaître. La matière, long-temps immolée par les macérations, reparaît triomphante sous les traits de