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LA GALERIE ROYALE DE TURIN.

sinon complètement, du moins dans quelques-unes de ses plus secrètes et de ses plus mystérieuses beautés. La liberté d’esprit, le repos de la conscience, le temps enfin, lui manquèrent pour devenir un artiste vraiment supérieur. Coupable d’un crime, il l’expia d’une manière tragique, et se noya avant d’avoir atteint sa quarantième année.

Les historiens de l’école hollandaise nous racontent à cette occasion l’étrange anecdote qui suit. Durant leur séjour à Rome, Jean Both, son frère André, les deux Laar et un autre artiste hollandais, ayant passé une de leurs soirées à jouer et à s’enivrer, se retiraient, vers le milieu de la nuit, de la taverne où ils étaient réunis, par une de ces rues qui longent le Tibre. Tout en cheminant, ils chantaient ou tenaient des propos obscènes, quand tout à coup ils firent la rencontre d’un prêtre. Celui-ci, voyant des gens ivres, chose de tout temps fort rare dans Rome, se jeta au-devant d’eux et commença assez intempestivement à les sermonner. Ces jeunes gens, loin d’être touchés de son éloquence, répondirent à ses véhémentes apostrophes par des injures. L’un d’eux, par forme de plaisanterie, ayant même poussé le cri de la canaille romaine : Au Tibre ! au Tibre ! ses compagnons, dont tout à la fois le vin et la colère troublaient la raison, mirent subitement à exécution cette menace jetée inconsidérément. Ils saisirent le malheureux prêtre, et, s’approchant d’un des quais du Tibre, le précipitèrent dans les flots. Le lendemain, quand la raison et le sang-froid leur furent revenus, ils détestèrent leur coupable égarement, firent leurs adieux à Rome et s’enfuirent chacun de son côté. Mais, racontent les mêmes historiens, à défaut de la justice humaine, la justice divine s’était chargée de les poursuivre ; tous ceux qui avaient participé au meurtre du prêtre périrent d’une mort tragique. Pierre de Laar le premier tomba dans un puits et se noya ; son jeune frère trouva la mort dans un torrent où il fut précipité ; André Both se noya à Venise dans la lagune ; enfin Jean Both, dit Both d’Italie, et l’autre artiste hollandais périrent tous deux dans un naufrage.

Les vieux maîtres de l’école allemande pourraient rivaliser avec ces maîtres de l’école hollandaise, dont ils furent les précurseurs, sinon par la quantité, du moins par la qualité des compositions sorties de leurs ateliers, qui enrichissent le musée de Turin. Albert Durer, Aldegraver, Holbein et quelques-uns de leurs élèves y ont de leurs meilleurs ouvrages. Un Ermite en prière d’Albert Durer, portrait en pied de quelque religieux inconnu, et la Visitation d’Aldegraver, le