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l’oubli sur les crimes du politique et de l’homme privé, pour célébrer le prince ami des arts. Ce beau portrait du Bronzino prouverait au besoin cette partialité intéressée du peuple des artistes à l’égard de ces coupables illustres, de ces hautes et funestes intelligences. Si les poètes chez les Romains ont glorifié Octave et tenté même de réhabiliter Néron, à Florence les historiens et les peintres se sont joints à eux pour tromper la postérité sur le caractère des Médicis et n’immortaliser que leurs vertus.

Le Bronzino lui-même, l’un des familiers du grand-duc comme Vasari, son émule, a dû flatter le prince, homme de goût et protecteur des arts, quand, à l’aide du pinceau, il retraçait son image sur la toile ; mais quelque noblesse qu’il ait imprimée sur son visage, quelque majestueuse douceur qu’il ait voulu donner à son regard, la vérité est restée la plus forte et a vaincu l’art. Le naturel du tyran, qui ne se confiait qu’en Dieu et en ses mains, se trahit par la fixité de cette prunelle noire, par l’amincissement de ces lèvres peu colorées, et par ce léger et involontaire froncement de sourcil. Ce cou athlétique, ces larges et fortes épaules, et cette main si belle, mais en même temps si efféminée, dont une bague orne l’un des doigts, dénotent également les instincts physiques et pervers. Un tel homme doit être sensuel jusqu’à la débauche, et on ne saurait s’étonner qu’il ait poussé la luxure jusqu’au raffinement de l’inceste. Comme chez lui la force physique et brutale doit être en lutte continuelle avec la force morale ! Si jamais il lâche la bride à ses passions, l’explosion, quoique sourde, sera terrible ; s’il frappe, il doit tuer.

Le Bronzino fut l’un des peintres florentins les plus renommés de son époque. De nos jours, c’est l’un des moins appréciés. Émule des Allori, des Ridolfo Ghirlandajo, des Benvenuto Cellini, des Bandinelli, des Daniel de Volterre et de tant d’autres, comme eux, il trouva dans Cosme Ier un patron intelligent et magnifique. Si l’Ammirato, le Borghini, l’Adriani et les autres annalistes de l’époque ont célébré le prince ami du grand historien Varchi et créateur de l’académie florentine, il n’est pas surprenant que le Bronzino ait flatté à sa manière, et autant qu’il était en son pouvoir, le protecteur généreux des arts, le fondateur de la galerie des Offices et de tant d’autres somptueux monumens.

Le premier tableau de la galerie de Turin qui arrêtera nos regards à la suite de ces chefs-d’œuvre, c’est le saint Jean Népomucène, de Daniel de Crespi. Le saint confesse à la fois une impératrice et un paysan. L’idée d’égalité chrétienne ne pouvait être exprimée avec